2011, Odyssée de l'Espèce.
"
Tree of Life" (The Tree of Life) de Terrence Malick (USA);
avec Brad Pitt, Jessica Chastain, Sean Penn, Fiona Shaw, Hunter McCracken, Joanna Going...
Dans les années 50, Jack grandit entre un père autoritaire et une mère aimante. La naissance de ses deux frères l'oblige bientôt à partager cet amour, tandis qu'il est quotidiennement confronté à ce père ultra-rigide, obsédé par sa réussite et celle de ses enfants. Ce père dont la violence sourde va galvaniser l'agressivité de ses fils et particulièrement celle de son aîné. Jusqu'à ce qu'un événement tragique vienne bouleverser cet équilibre déjà précaire. Comme il y a longtemps, une certaine météorite...
Si tant est que la finalité d'un festival de l'envergure de celui de Cannes soit de récompenser et donc, par delà, de révéler un certain type de cinéma novateur et audacieux, sans pour autant s'enferrer dans un auteurisme autistique et forcené - mais loin par exemple d'un
Scorsese primant sous couvert d'audace le classicisme bon teint (bien que plastiquement magnifique)
d'un Angelopoulos ou la cuculterie rigolarde et bien-pensante
d'un Benigni - eh bien, il faut le dire, cette 64ème édition fût un grand cru !
Car dans cette perspective, rarement, jamais peut-être, une Palme d'Or ne fût elle à ce point méritée (avec celle remise à "
Oncle Boonmee..." l'année dernière, ce qui serait la preuve d'une évolution positive si tout cela n'était pas, somme toute, le fruit du hasard).
Et les prix d'interprétation ou de la réalisation remis à des acteurs - et des films - populaires (
Dunst,
Dujardin, "
Drive"...) qui vont sans doute ouvrir la manifestation à un public plus vaste, ne font sans doute qu'en renforcer l'impact, grâce à l'effet-miroir d'une sorte de fort et beau contraste...
Car si ce "Tree of Life", aboutissement de la carrière - de la vision, même, pourrait-on dire - d'un cinéaste précieux, car rare et ambitieux, est un film exigeant de par sa forme, sa longueur et son rythme, c'est avant tout une nouvelle et extraordinaire proposition de cinéma.
Ni plus ni moins.
Un truc désarçonnant mais magnifique, qui ne peut être comparé à rien de déjà vu (si ce n'est, vaguement et pour une seule de ses parties, à "
2001..." de
Kubrick, sans doute le seul cinéaste auquel
Malick puisse-t-être comparé de loin - et Dieu sait si l'on ne s'en prive pas ces derniers temps).
C'est une sorte de poème cinématographique, à la narration totalement fragmentée, qui raconte une histoire simple et complexe à la fois, jamais de manière linéaire, jamais de manière réellement "concrète" mais sous forme d'une espèce de long voyage, mystique et sensoriel, célébrant la nature, transporté par la grâce, posant une foule de questions, ouvrant une foule de portes pour ne quasiment rien livrer ou tout du moins laisser les réponses à l'appréciation d'un spectateur chamboulé par tant d'audace, par tant de vérité pure, instantanée, magnifiée dans quasiment chaque plan, qui offre une partition virtuose, presque parfaite, réinventant au passage la grammaire cinématographique...
Oh, bien entendu, tout n'est pas parfait et heureusement !
Les hauts sont très hauts (la majeure partie du film: toute la partie dans les années 50 portée en plus par un duo d'acteurs magnifiques:
Brad Pitt et
Jessica Chastain, ainsi que le fameux passage sur la création du Monde: 30 minutes de film dans le film à proprement parler ahurissantes - et avec des dinosaures !) et des bas très bas (toute la partie avec
Sean Penn dans le rôle de Jack adulte, en ce compris les 20 minutes finales dont le symbolisme lourdaud et le côté presque caricatural dans l'excès auteuriste et le gâtisme new-age finissent presque - je dis bien "presque" ! - par gâcher le film).
Et c'est aussi quelque part ce côté bancal qui font la justesse et la finesse du film. Chaque partie venant enrichir les autres de ses scories, fussent-elles positives ou négatives...
Et puis, qu'on se le dise, après tout, chez Malick, ce n'est pas tellement le message qui compte, même s'il est intéressant, mais plutôt cette frénésie cinématographique, cette râge presque sublime qui semble l'animer et le pousser à dépasser toute frontière artistique et technique.
En celà, le gaillard qui semble être aussi un maniaque du contrôle (pas pour rien qu'il n'ait finalement tourné que cinq films en quasiment quarante ans), même si ici il les surpasse, enfonce encore le clou de ses obsessions filmiques.
Avec cette narration décalée qui est une de ses marques de fabriques, ces voix-off ne semblant rien commenter du tout ou alors peut-être une autre histoire, un autre film.
Un tic poussé ici jusque dans ses derniers retranchements: dans les premières minutes, les dialogues eux-mêmes sont en off.
On entend les voix des acteurs mais sans que leurs lèvres ne bougent...
Et ça fout un peu le vertige, il faut bien le dire...
Et puis, cette manière qui n'appartient qu'à lui de filmer la nature, jusqu'à la sublimer par une structure contemplative qui par moment laisse réellement sans voix.
Alors, certes, c'est parfois un peu lent. Un peu long. Un peu ardu.
Certes, certes... celà se mérite.
Mais au-delà: quelle récompense !
L'impression d'avoir assisté en direct-live à quelque chose de purement historique.
L'avènement d'une nouvelle forme de cinéma ?
Mmmmh... Peut-être...
Pas sûr...
Mais la certitude d'avoir vu un film dont on parlera encore dans cinquante ans comme d'un classique, comme d'une pierre angulaire dans l'Histoire du Septième Art ?
Ca, oui: c'est certain !
Cote: ***** (et encore une fois, je mets cinq étoiles SI JE VEUX !)