lundi 1 octobre 2012


Tord-boyaux.

"Des Hommes sans Loi" (Lawless) de John Hillcoat (USA); avec Shia LaBeouf, Tom Hardy, Jason Clarke, Jessica Chastain, Guy Pearce, Mia Wasikowska...

1931. Dans le comté de Franklin, au coeur de l'Amérique profonde et en pleine Prohibition, les trois frères Bondurant sont des trafiquants d'alcool notoires. Jack, le plus jeune, a des rêves d'indépendance et veut transformer la petite affaire familiale en trafic d'envergure. Howard, le bagarreur, reste loyal malgré l'alcool qui lui ronge la cervelle. Forrest, l'aîné, enfin, se croit indestructible et s'impose en chef voulant protéger sa famille. Face à des flics corrompus, à une justice à géométrie variable et à des gangsters rivaux sans scrupules, la fratrie trace sa route, confrontée aux nouvelles règles d'un monde en totale évolution.
Faisant ici la part belle au code d'honneur de bandits aux grands coeurs, l'australien John Hillcoat poursuit, après un western tourné dans l'Outback ("The Proposition") et une adaptation d'un roman post-apocalyptique de Cormac McCarthy ("La Route"), son exploration d'une Amérique à la fois réaliste et fantasmée.

Accompagné de son éternel complice Nick Cave (pas seulement à la musique mais surtout à l'écriture), il signe ici une oeuvre ultra-référencée dont le clacissisme bon teint est peut-être la limite (certains ce sont demandé ce qu'il faisait en compète à Cannes) mais aussi - et sans doute surtout - la force.

Une mise en scène sobre et minérale, brute de décoffrage et sans aucun lyrisme de mauvais aloi, un soin tout spécifique apporté à la bande-son (et aussi, on y revient, à la musique, avec entre autre une étonnante version bluegrass du "White Light/White Heat" du Velvet Underground), une violence distillée (Arf ! Jeu de mots !) mais tétanisante: le film bâtit sa flamboyance sur une mécanique efficace et bien huilée, redonnant ses lettres de noblesse au gangster movie de jadis.
Même si c'est évidemment dans la relation entre les frangins, toute en affection contenue et en virilité bourrue, que s'épanouit réellement l'histoire.

La reconstitution historique est impressionnante et - alors que d'habitude Hollywood fait rimer "prohibition" avec Al Capone et Chicago -  on est cueilli par l'originalité de son approche, qui revient aux sources rurales et même rednecks de l'économie souterraine qui se mit en place à l'époque.

La distribution, quant à elle, est évidemment impressionnante et prend une place importante dans le plaisir que l'on éprouve à voir "Lawless": Jessica Chastain et Mia Wasikowska (même si son personnage est un peu accessoire) sont parfaites, comme l'est le peu connu Jason Clarke dans le rôle de Howard.
Il est juste dommage de voir comme le talent de Gary Oldman est galvaudé à travers un rôle qui frôle la figuration.
Et surtout douloureux de voir comment Guy Pearce surjoue son personnage d'agent spécial fielleux et gominé.

Mais si une seule vraie réserve doit être évoquée, ce sera au niveau de l'écriture.
Bien qu'inspiré d'un livre écrit par le fils ou le petit-fils de l'un des Bondurant - et donc d'une histoire vraie - le scénario du brave Nick Cave s'avère trop cruellement criblé de trous, traversé d'ellipses malheureuses pour réellement convaincre.
Et donne l'impression étrange que l'on ne nous donne pas toutes les infos nécéssaires à la bonne compréhension de l'affaire.
Du coup, on se demande parfois si l'on ne nous a pas posés devant un épisode d'une série quelconque sans que l'on n'aie eu la chance de voir le début.
Et sans que l'on n'aie vraiment non plus l'occasion d'en appréhender la fin.

C'est embêtant, on l'avouera.
Et empêche malgré toute ses qualités "Des Hommes sans Loi" de devenir le grand film - si pas le chef d'oeuvre - qu'il aurait pu être.

On n'est jamais si bien trahi que par les siens, tenez.


Cote: ***

lundi 24 septembre 2012


C'est la rentrée !

Et après quelques semaines de silence radio, Jean Gabin est de retour et commence, pour repartir sur de bonnes bases, par liquider les arriérés de l'été...


-"The Amazing Spider-man" de Mark Webb (USA); avec Andrew Garfield, Emma Stone, Rhys Ifans, Sally Field, Martin Sheen, Embeth Davidtz...

Je vais pas vous faire l'offence de vous résumer à nouveau l'histoire de Peter Parker, comment il vécu, comment il est mort (hein ?).
En gros, vous prenez le premier Raimi (ou n'importe quel vieux numéro de "Strange"), vous remplacez Mary-Jane par Gwen Stacy et le Bouffon Vert par le Lézard et Hey ho ! Let's go !

Donc, la mode est aux reboots (et toujours aux remakes de vieux brols eighties comme le prouvent "Total Recall" ou le prochain "Robocop", rassurez-vous, mais bon: aux reboots quand même).
Et même aux reboots de plus en plus rapides, genre de franchises qui ont à peine dix ans, comme le prouve celui-ci.

On peut, comme d'habitude, se poser des questions quant à la légitimité, l'opportunité et l'originalité de telles choses (et quant au manque subséquent d'imagination de la machine hollywoodienne qui semble de plus en plus devenir un grand brol à recycler) mais baste.

Car ici, donc et en l'espèce, l'upgrade est plutôt réussi grâce à une relecture qui enfonce le sempiternel clou de la crise adolescente et du passage à l'âge adulte de façon assez intelligente et convaincante, convoquant à tour de rôle émotion et humour.

Grâce aussi à un ancrage dans notre époque qui renforce l'empathie et - enfin - à des scènes d'action assez bluffantes, il faut bien le dire.

Le plus produit est quant à lui à chercher du côté de la prestation d'Andrew Garfield qui, malgré les premières réticences, atomise assez efficacement celle du pâle - en comparaison, bien sûr - Tobey Maguire.

Le "moins", malheureusement, c'est le Lézard: un méchant extrèmement peu convaincant car sous-écrit et mal servi par des effets spéciaux lourdements approximatifs.

L'un dans l'autre quand même un bon film de super-héros et une manière pas trop honteuse de relancer le bouzin.

Cote: ***


- "The Dark Knight Rises" de Christopher Nolan (USA); avec Christian Bale, Anne Hathaway, Tom Hardy, Marion Cotillard, Joseph Gordon Levitt, Michael Caine...

Ici, par contre, ça chie ! Huit ans que le Batman a disparu après avoir endossé la responsabilité de la mort du procureur Harvey Dent. Huit ans de clandestinité pour le bien de Gotham, pense-t-il. Mais l'arrivée conjointe d'une mystérieuse cambrioleuse aux obscurs desseins et de Bane, un dangereux bio-terroriste, le forcent bientôt à sortir de l'exil qu'il s'était imposé.

Mon Dieu que c'est long !

Presque trois, heures, milliards ! Mais qu'est-ce qu'ils ont tous avec ça !

D'autant qu'ici, en plus, ce sont les trois premiers quarts d'heure qui sont pénibles et poussifs, s'engluant malgré quelques scènes de bravoure (la scène d'ouverture, digne d'un "James Bond". La première rencontre entre Bruce Wayne et Catwoman) dans une espèce d'interminable exposition à la narration d'autant plus lourdingue que les enjeux sont flous.

Heureusement, une fois le pavé avalé, ça décolle et les deux "dernières" heures, d'une noirceur abyssale, sont tout simplement sidérantes.

Offrant des allers-retours permanents avec ses deux prédécésseurs, ce "Dark Knight Rises", baignant dans un climat apocalyptique aussi fascinant qu'étouffant, s'offre en plus le luxe d'une poignée de scènes proprement mémorables, concluant ainsi la trilogie d'une manière on ne peut plus cohérente.

Reste évidemment quelques scories, dont la désormais célèbre "mort" de Marion Cotillard ou la manière honteuse pour un Vilain de cette envergure dont le personnage de Bane est à proprement parler évacué.

Mais entre lyrisme et noirceur - et bien qu'il eût du être amputé d'une grosse demie-heure - le dernier "Batman" de Nolan met en tout état de cause dignement fin à la saga, tout en se terminant de manière ambigue sur une fin "ouverte" d'une finesse qui sauverait à elle seule l'ensemble du truc.

Et puis Thomas Hardy est soufflant et Anne Hathaway (best Catwoman EVER !!!!! ) renvoie Michelle Pfeiffer dans les limbes avec Tobey Maguire. C'est dire !

Oui, alors bon, allez... Ca reste malgré tout le plus faible des trois...

C'est juste dire à quel point les deux autres étaient bons...

Cote: ***


- "Quand je serai petit" de Jean-Paul Rouve (F); avec Jean-Paul Rouve, Benoît Poelvoorde, Miou-Miou, Claude Brasseur, Arly Jover, Gilles Lellouche...

Et terminons donc avec un "petit"  film français, deuxième réalisation de l'ex-Robin Jean-Paul Rouve qui s'offre ici le rôle de Mathias, 40 ans, qui au cours d'un voyage croise un petit garçon qui ressemble étrangement à celui qu'il était au même âge.

Variation douce-amère autour du thème des non-dits, des secrets de famille et de la nostalgie, se posant la sempiternelle question de ce qu'il adviendrait si l'on pouvait revenir en arrière, le second film de Rouve est une oeuvrette mignonne et somme toute légère - malgré son sujet - qui passe cependant de peu à côté de la floche.

La faute au narcissisme de son réalisateur/acteur qui construit tout son film autour de son personnage alors qu'il n'a pas la carrure pour l'interpréter - son perpétuel sourire en coin désamorçant d'entrée toute situation potentiellement émouvante.
Et qui surtout, du coup, gomme tout personnage secondaire, ce qui plombe mortellement l'intérêt du film.

C'est carrément honteux quand on en vient à Claude Brasseur et Gilles Lellouche, réduits à faire de la figuration alors que leur double personnage est essentiel à l'intrigue.
Mais c'est surtout dommageable dans le chef d'un Benoît Poelvoorde, pourtant encore ici très juste et très touchant mais dont le personnage est lui aussi malheureusement sacrifié, laissant le film, gentil et plein de bonnes intentions, tourner à vide autour de son auteur et personnage principal.

Cote: ** (cote "spéciale rentrée")

lundi 27 août 2012


Holy Macaroni !

"Holy Motors" de Leos Carax (F); avec Denis Lavant, Edith Scob, Michel Piccoli, Kylie Minogue, Leos Carax, Eva Mendes...

A bord de sa limousine conduite par la fidèle et énigmatique Céline, Monsieur Oscar, de l'aube à la nuit, navigue de vie en vie, de rôle en rôle. Tour à tout PDG, mendiante, comédien de motion-capture, créature vivant dans les égouts, père de famille, tueur, vieillard mourant, il semble jouer la comédie sans jamais que l'on ne voie les caméras...

Voici donc cette fameuse Huitième Merveille du Monde sur laquelle les critiques (français essentiellement plus une petite frange de belges francophones) se sont extasiés, hurlant au scandale lorsque la Palme d'Or lui échappa.

Un film que j'allais voir la bave aux lèvres tant l'effet d'annonce était important, le pitch intrigant et la bande-annonce, il est vrai, alléchante.

Amateur de nouvelles cinématographies, de celles qui innovent et qui ouvrent des portes (cfr. "Tree of Life", certains Lynch ou le récent "Oncle Boonmee..." auquel ce "Motors" fait parfois bizarrement penser - par un je-ne-sais-quoi d'intangiblement onirique), je m'attendais à trouver ici un objet filmique intrigant mais passionnant.

Que me voilà donc dépourvu, lorsque la bise fut venue, de me retrouver devant ce gros soufflé prétentieux, poético-pouët-pouët et moité retombé avant même d'avoir gonflé.

Certes, certes, il y a ici de la beauté (formelle) et quelques fulgurances évidentes (la scène avec Kylie Minogue, l'apparition fantômatique de Piccoli, les accordéons dans l'église, le double-tueur et c'est à peu près tout).
Certes, l'on comprend bien la mise en abyme et la citation (voire l'auto-citation) en forme de "lettre d'amour" au cinéma (au sien, bien sûr, ce qui est déjà limite point de vue prétention, mais aussi à celui de Godard, de Franju, au cinéma de genre qu'il soit d'hier ou d'aujourd'hui - cfr. l'inutile et pénible séquence de motion-capture, etc.).

Bien sûr on comprend bien le sous-texte sur le travail d'artiste et particulièrement les entraves - réelles il est vrai - dont souffrit Carax lui-même.

Et que dire de la métaphore ultime - et ultimement lourdingue - du cinéma-miroir de la vie (et réciproquement et plus si affinités et merci bonsoir) ?

Alors aussi, bien sûr, évidemment et autres exclamations que ce monument semble appeler à tout prix, Denis Lavant est génial et donne tout, jonglant avec les genres comme avec les langages et avec les déguisements.

Et Edith Scob, impériale, fait plus que lui rendre la pareille.

Mais hélas. Trois fois hélas ! Il n'y a pas à tortiller: dans l'ensemble "Holy Motors" reste imbitablement chiant, abscon, abstrus, obscur et prétentieux.

A l'image d' "Adaptation." et d'autres films de petits branleurs intellos généralement new-yorkais (comme quoi tout arrive), malgré son apparente honnêteté et son enthousiasme fortuit, "Holy Motors" ressemble avant tout à l'un de ces films pour happy-fews, pour V.I.P. arpenteurs d'avant-premières et de visions de presses.

Un de ces films qui semble destiné uniquement à un public choisi par le cinéaste parmis ses pairs: critiques, scénaristes, acteurs et autres professionnels de la profession...

Un OVNI cinématographique, oui, pour utiliser une expression à la mode.
Mais tellement autocentré qu'il en devient parfois ridicule.

Et un OVNI qui ne manque finalement pas de commettre l'outrage ultime: celui de laisser le public sur le carreau.

Pire: de se moquer de lui !

C'est bien simple, par moment on a l'impression de voir Carax derrière l'écran, riant sous cape du bon tour qu'il vient de nous jouer.

Et ça, eh bien c'est juste désagréable.


Cote: *

lundi 20 août 2012


The Bop Decameron.

"To Rome With Love" de Woody Allen (USA); avec Ellen Page, Woody Allen, Penélope Cruz, Jesse Eisenberg, Roberto Benigni, Judy Davis...

Un citoyen romain lambda se retrouve du jour au lendemain célèbre sans raison et la proie des médias. Un jeune marié timide venu présenter sa femme à sa famille psycho-rigide se retrouve avec sur les bras une prostituée délurée tandis que son épouse se perd dans la ville. Un jeune étudiant en architecture tombe amoureux de la meilleure amie de sa compagne, une actrice névrosée et manipulatrice. Un agent artistique à la retraite découvre que le père de sa future bru est un chanteur d'opéra de génie qui s'ignore. Tous ces personnages et quelques autres se croisent sans vraiment se rencontrer dans  le décor splendide de la Ville Eternelle.

Après Londres, Barcelone et Paris (et en continuant, après "Vicky Cristina Barcelona" et "Minuit à Paris" son exploration des titres de films les plus platement premiers degrés possibles), Woody Allen pose donc pour notre plus grand plaisir ses bagages et sa caméra à Rome (oui, c'est écrit dans le titre, suivez un peu).

Et si, à l'instar de la précédente étape parisienne, il n'évite pas les clichés inhérents au genre et un certain côté "carte postale" - à l'enthousiasme heureusement très communicatif (ça donne envie de visiter Rome, oui. Et pas qu'un peu), il le fait visiblement en s'amusant comme un petit fou.

Et ce plaisir est franchement communicatif.
Car cette comédie patchwork qui réunit un bel aréopage d'acteurs de tous horizons - des locaux aux américains, des habitués aux représentants de la jeune génération - multiplie les mini-intrigues cocasses, les histoires les plus folles, parfois parfumées d'un certain surréalisme voire d'une touche de fantastique, sur un thème commun - outre la romance, bien sûr, qui en est comme toujours le moteur: l'homme et sa soif de reconnaissance, de grandeur, de succès à tout prix, quelle qu'en soit la forme.

En celà, deux segments se détachent; celui mettant en scène Benigni (étonnament sobre dans un rôle qui semblait pourtant taillé pour tous les excès) complètement dépassé par un succès soudain et incompréhensible, se retrouvant interviewé au journal de 13h pour savoir ce qu'il a mis sur ses tartines le matin...

Et celui ou Allen lui-même découvre que le père de sa future belle-fille, croque-mort de profession, est un génie de l'opéra qui s'ignore.
Seul bémol: il n'arrive à chanter que sous sa douche !

Qu'à cela ne tienne, Woody-l'imprésario qui a lui même plus soif de célébrité que sa future star et qui vit sa retraite comme une petite mort (thème allenien s'il en est) à plus d'un tour dans son pot !
Et s'en va trouver un hilarant palliatif à l'affaire, renouant pour le coup avec le burlesque de ses premiers films tels que mis en abîme dans l'excellent "Stardust Memories" ("Bananas", "Woody et les Robots", "Guerre et Amour" et quelques autres).

Entre ces deux highlights, comme disent les américains, Woody lie la sauce avec deux autres "sketches" plus classiques mais toutefois eux aussi très personnels car ressassants des quiproquos amoureux mêlant nostalgie douce-amère, humour juif et - pour le coup - faconde italienne.

Et comme ceux-ci permettent à Ellen Page et Penélope Cruz de briller dans des rôles très différents et à Alec Baldwin d'introduire un intéressant personnage de mentor dont on se demande souvent si il n'est pas une pure production de l'imagination de Jesse Eisenberg eh bien, on y trouve également suffisamment de quoi se mettre sous l'oeil et sous la dent pour ne pas s'ennuyer et savourer l'ensemble comme un apéro sur une terrasse romaine.

Reste évidemment que "To Rome With Love" est un faux film choral dont les différentes parties s'entrecroisent sans jamais vraiment se rencontrer.

Et qu'au final, quand est venu le temps de cloturer la chose, ce n'est pas face à une mais bien quatre fins que l'on se retrouve confronté.

Et que donc ça tire en longueur et qu'on a l'impression que ça ne sait jamais très bien finir.
Fois quatre !

Mais outre ce bémol on est quand même très content d'avoir passé une heure quarante dans une ville magnifique, au milieu d'une troupe d'acteurs splendides, au sein d'un scénario qui bouillonne du génie d'un Woody Allen dont on se dit que, décidément, le climat européen lui va plutôt bien.

Très bien, même.

Et si ce n'est pas ça le plus important, hein...


Cote: ***

lundi 13 août 2012


Lochfuls of Lagavulin*

"La Part des Anges" (The Angels' Share) de Ken Loach (UK); avec Paul Brannigan, Jasmin Riggins, Joe Henshaw, Gary Meitland, William Ruane, Roger Allam...

A Glasgow, Robbie, délinquant en voie de rédemption et tout jeune père de famille, est en permanence rattrapé par le passé. Epongeant une ultime peine de travaux d'intérêts généraux, il se lie d'amitié avec ses compagnons d'infortune: Mo, Rhino et Albert. Henri, leur éducateur, devient peu à peu leur mentor en les initiant clandestinement au monde du whisky, sa passion. De visites de distilleries en dégustations huppées, Robbie se découvre un vrai don de dégustateur. De quoi tenter une ultime arnaque ?

Courroné de manière inattendue par le Prix Spécial du Jury (qui est normalement là pour récompenser... hum... un jeune cinéaste) lors du dernier festival de Cannes et précédé par une campagne d'affichage pour le moins décalée ("No Rules, Great Loach", rappelez-vous), le douzième film de la Dream Team du cinéma britannique - Ken Loach et son scénariste Paul Laverty - emprunte les chemins de la comédie pour nous livrer le plus insolite des feel-good movies de l'été.

Que l'on ne s'y trompe pas, l'aspect social est là et bien là et Loach n'a rien perdu de sa causticité et de sa lucidité face à un monde de laissés-pour-compte pour lequel il ne cache pas une véritable tendresse.

Et on le retrouve toujours aussi prompt à dénoncer de manière percutante le sort infligé à une certaine jeunesse se retrouvant le plus souvent sans aucune perspective d'avenir.

Seulement il le fait ici en prenant le parti d'en rire via le biais d'une sorte de conte naïf et touchant, qui démarre à fond dans le réalisme (bien que la scène d'ouverture soit l'une des plus hilarantes du film) pour mieux emprunter ensuite les routes moins balisées du burlesque avant de se terminer en dérapage contrôlé dans les brûmes alcoolisées d'une entourloupe surréaliste.

Sans oublier, en plus, un happy-end incongru mais revigorant.

A la fois comique et tragique, "La Part des Anges", qui se permet en plus le luxe d'une certaine badinerie à mi-parcours sous forme de promenade dans les magnifiques paysages écossais sur fond de vieille rengaine des Proclaimers ("I'm Gonna Be (500 Miles)"), n'en reste pas moins un  film engagé qui ressasse de manière obstinée la fixette de Loach pour une certaine Grande-Bretagne en déliquescence sociale.

Sous laquelle perce de manière réjouissante le portrait d'une humanité complexe incarnée par une bande d'acteurs pas ou peu connus aux trognes inénarrables et aux accents du même tonneau.

Oscillant sans cesse entre rire et larmes (la rencontre entre Robbie et l'une de ses anciennes victimes est tout simplement bouleversante) "La Part des Anges" se déguste finalement facilement et revigore comme un bon Single Malt.

Distillé et servi par un duo d'esthètes.


Cote: ****


(* Oui, oh ! Je peux aussi me citer moi-même, hein !)

vendredi 10 août 2012


Dans la forêt lointaine...

"Blanche-Neige et le Chasseur" (Snow White and the Huntsman) de Rupert Sanders (USA); avec Kristen Stewart, Chris Hemsworth, Charlize Theron, Bob Hoskins, Lily Cole, Toby Jones...

Embastillée pas sa cruelle marâtre, la reine Ravenna, qui suite à la mort du roi tente de faire main basse sur le royaume de Tabor, la jeune princesse Blanche-Neige - dont la beauté seule peut tenir la dragée haute à celle de sa belle-mère - réussi à s'évader et à se réfugier dans la Forêt Noire. Là, formée au combat par le vaillant chasseur lancé à ses trousses et qui a opportunément tourné casaque, elle fomente une rébellion et lève une armée pour libérer le pays du joug de son impitoyable belle-doche.

Il est sûr et certain que le traitement dark fantasy réservé au conte des frères Grimm (mes lointains ancêtres, si !) par le néo-réal Rupert Sanders (dont le principal fait d'arme en dehors de celui-ci aura été de défrayer la chronique en enlevant son actrice principale des bras du fadasse Robert Pattinson) lui va plutôt bien au teint.

Et que ce relookage martial et gothique qui cite aussi bien Tim Burton que Peter Jackson, voire même l'inaugurale version Disney dans ce qu'elle avait de plus sombre (la première incursion de Blanche-Neige dans la forêt, très horrifique avec ses angoissants arbres vivants) constitue, combinée avec un assez évident sens du grand spectacle, particulièrement dans les scènes de combat, l'un des principaux atouts du film (pour l'autre: voir plus bas).

Hélas, trois fois hélas, le scénario ne suit pas et l'idée de départ, pourtant bonne, de confronter deux univers s'étiole progressivement jusqu'à s'éteindre.
Le principal problème étant que les deux univers se cotoient sans jamais se frotter l'un à l'autre, donnant à l'aspect "heroïc fantasy" de l'affaire un côté "pièce rapportée" qui ne colle jamais et ressemble plus à un artifice un peu vain.

D'autant plus dommage qu'outre le côté visuel il y a quand même l'une ou l'autre bonne idée (et l'un ou l'autre plantage magistral comme celui de l'évasion de Blanche-Neige qui trouve par miracle un cheval pour s'enfuir, couché à même la plage) et que les Sept Nains, présentés comme des Hobbits à la retraite et interprêtés par une ribambelle d'acteurs british top notch (Bob Hoskins, Ray Winstone, Toby Jones, Eddie Marsan, Ian McShane, Nick Frost...) sont drôles et savoureux.

Mais bon, malgré tout... Ca reste long et creux, principalement.

Reste qu'après "Sur la Route" et les "Twilight" Kristen Stewart, lookée comme Jeanne d'Arc, continue ici son grand écart cinématographique mais ne trouve malheureusement pas beaucoup de grain à moudre dans ce rôle fade et presque désincarné.

D'autant qu'elle doit répondre à un Chris Hemsworth décidément expressif comme une banquette en bois.

Et l'omniprésente et toujours formidable Charlize Theron fait malheureusement mentir l'adage hitchcockien selon lequel plus un méchant est réussi, meilleur est le film.

C'est elle et son talent vénéneux qui constituent la principale attraction du film, certes.

Mais ça n'empêche pas celui-ci d'être un laborieux semi-plantage.


Cote: *

lundi 30 juillet 2012


No future, et après ?

"Le Grand Soir" de Gustave Kervern et Benoît Delépine (F); avec Benoît Poelvoorde, Albert Dupontel, Brigitte Fontaine, Areski Belkacem, Bouli Lanners, Serge Larivière...

Monsieur et Madame Bonzini tiennent un restaurant, "La Pataterie"; dans un zoning commercial. Leur fils aîné, Ben, dit "Not", est prétendument le plus vieux punk à chien (et quel chien !) d'Europe. L'autre, Jean-Pierre, est un cadre commercial stressé par son boulot dans un magasin de literie, par ses traîtes et par son prochain divorce. Après avoir pété les plombs dans les grandes largeurs il se retrouve licencié, ce qui le rapproche de son déjanté frangin...

S'il y a bien quelque chose d'admirable dans le cinéma de Kervern et Delépine, c'est sa permanente évolution.

D' "Altraa" en "Louise-Michel", de "Mammuth" en "Grand Soir", tant sur le fond que sur la forme, leurs films évoluent sans cesse pour un mieux, comme si ils ne cessaient d'apprendre et de se nourrir de leurs erreurs passées, de leurs rencontres, de leur expérience et de la vie.

De plus en plus maîtrisés d'un point de vue technique et formel - même si leur manière de filmer, disons, frontale est encore là et bien là, comme une marque de fabrique - il s'affinent d'un opus à l'autre, y ajoutant une photo de plus en plus belle, même si toujours très âpre, et - cette fois plus encore que dans les précédents - de vraies idées de mise en scène (la scène d'ouverture, le gimmick des caméras de surveillance...).

Sur le fond, tout en jouant la carte de la comédie loufoque ou du conte social déjanté, ils signent ici un film sans doute plus noir et plus désabusé encore que les précédents, tout en se débarrassant enfin des oripeaux qui ornaient ceux-ci et pouvaient - du moins jusqu'à "Louise-Michel" - les voir se faire taxer de cynisme ou de "fausse humanité", regardant leurs personnages d'un oeil finalement plus méprisant que ce qu'ils voulaient admettre.

On sent au contraire ici une vraie tendresse pour ces losers magnifiques qu'ils mettent en scène de manière à la fois poétique et délirante, avec une énergie punk débordante et un sens du comique pleinement assumé.

Car avant tout "Le Grand Soir" est drôle.

Très drôle.

Extrèmement drôle.

A se pisser dessus, même.

Aussi bien au niveau des dialogues (celui entre Bouli et Poelvoorde à propos de la maison de Oui-oui est tout simplement anthologique) que des situations (le gâteau d'anniversaire, les "courses" de Poelvoorde avec la vieille dame, le suicide, la "danse" devant la pizzeria, le licenciement de Dupontel, la recherche d'emploi... On ne saurait pas les citer toutes) ou des apparitions des "habitués" (Depardieu en bonnet péruvien lisant l'avenir dans l'eau-de-vie pulvérisant tous les records de caméos passés, présents et à venir, quel que soit le film), "Le Grand Soir" casse toutes les baraques à frites humoristiques possibles et imaginables.

Mais avec son constat en demi-teinte et malheureusement lucide sur l'inutilité des appels à la révolte (qui renvoie plaisamment à la mode actuelle des Indignés), le film se veut également touchant, émouvant même.

Drôle et triste à la fois.

En composant un personnage magnifiquement fragile et borderline, tellement à fleur de tout qu'il en file le vertige, Poelvoorde trouve ici sans doute le plus beau rôle de sa carrière, so far.
D'autant plus impressionnant qu'il arrive à ne pas "faire du Poelvoorde" avec un personnage qu'on aurait pu croire écrit pour ça.
Il est même à ce point impressionnant qu'il arrive presque à éclipser un Dupontel pourtant lui aussi en toute grande forme (olympique, allez, c'est de saison).

Et, fort de tout ces atouts, "Le Grand Soir" se déroule.
Lucide, débonnaire, sombre, salutaire, jusqu'à un final sublime, d'une intensité folle qui prouve bien toute la démesure à la fois lyrique et anar du duo grolandais, sublimant un film globalement impeccable jusque dans ses dérapages.

Si il n'y avait pas les Wampas, allez, ce serait presque parfait.


Cote: ***