jeudi 2 décembre 2010

Hottentottententeentoonsteling.

"Vénus Noire" de Abdellatif Kechiche (F); avec Yahima Torres, Olivier Gourmet, Elina Löwensohn, André Jacobs, François Marthouret, Rémi Martin...

L'histoire vraie de Saartjie Baartman, la Vénus Hottentote, aux formes étonnantes: fessier proéminent, organes génitaux protubérants... Domestique en Afrique du Sud, elle emmenée en Europe par son maître, Hendrick Caezar, qui lui fait miroitier un avenir artistique, la gloire et l'argent. Exhibée comme un animal dans une foire aux monstres londonienne, elle est rachetée par un forain qui l'emmène à Paris. De spectacles libertins en observations scientifique, le destin de Saartjie semble voué au sordide...

Après trois films bien ancrés dans leur époque, Abdellatif Kechiche s'essaie au film historique sans pour autant perdre de sa force ni de son mordant avec ce quatrième opus retraçant donc le parcours peu banal et édifiant de cette jeune femme ballottée de cercles scientifiques en bordels, traitée comme un animal (les observations de l'anatomiste Georges Cuvier en ouverture, la comparant à un orang-outan, sont particulièrement édifiantes), voire carrément comme un objet.

Cru, dérangeant, "Vénus Noire" est, sans mauvais jeu de mot, un film noir de noir, qui pourrait passer pour purement désespérant mais conserve jusqu'au bout - le générique de fin sur la cérémonie d'enterrement en Afrique du Sud - une puissance rare.

Sa force est évidemment de ne pas dénoncer, de se contenter de montrer, jusqu'à la nausée (le film ne se prive pas de répétitions et le "spectacle" de Saartjie nous est montré plusieurs fois in extenso), sans encourager les réflèxes habituels du spectateur devant pareil exhibition - compassion pour la victime ou haine pour les bourreaux.
Le tout sans pour autant excuser ou encore moins absoudre.

L'histoire étant évidemment terrible et son illustration à la fois parfaitement froide et poisseuse (les scènes dans le salon libertin ou dans le bordel ont de quoi provoquer des frissons d'horreur), la tentation aurait sans doute pu être grande de rendre le film malgré tout aimable.
Son impact est d'autant plus grand qu'il ne s'encombre pas de ce genre de considérations et parvient néanmoins, si pas à séduire, du moins à bouleverser.

Tour à tour documentaire, fable et parabole sur notre propention moderne à créer des monstres médiatiques, "Vénus Noire", qui préfère également le regard vrai aux froufrous du biopic ou de la reconstitution historique "classique", ausculte avec brio les mécanismes du racisme et du voyeurisme tout en offrant une approche intelligemment ambigue du rapport de dominant à dominé, Saartjie étant aussi partiellement et bizarrement "complaisante" envers sa situation.

En cela, le film est formidablement aidé par la composition étonnante, désincarnée, presque atone de la débutante Yahima Torres qui, aux côtés d'un Olivier Gourmet impressionnant de veulerie, fait beaucoup pour accentuer la neutralité et le côté clinique de la mise en scène.

Film ambitieux, exigeant, ne cherchant jamais à séduire, cette "Vénus Noire" est à l'arrivée une oeuvre à la force peu commune, quasi tellurique, sans concession.

Une oeuvre certes dérangeante mais qui ne peut définitivement pas laisser indifférent.



Cote: ***

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