jeudi 9 décembre 2010

Au théatre ce soir...

"Potiche" de François Ozon (F); avec Catherine Deneuve, Gérard Depardieu, Karin Viard, Fabrice Luchini, Judith Godrèche, Jérémie Renier...

Sainte-Gudule, commune française imaginaire, 1977. Suzanne est l'épouse popote et bobonne de Robert Pujol, chef d'entreprise arriviste et arrivé (la fabrique de parapluies faisait partie de la dot de Madame) qui mène l'affaire familiale d'une main de fer et est aussi insuportable avec ses employés qu'avec ses enfants et sa femme, qu'il traite comme une potiche. Suite à une grève sauvage et à une séquestration, celle-ci se retrouve néanmoins à la tête de l'usine et se révèle nettement moins godiche qu'elle ne pouvait en avoir l'air, arrivant même - au passage - à redresser la barre économique tout en se gagnant la sympathie de la base. Mais, de retour de cure, Robert compte bien reprendre les choses en main... Quitte à devoir affronter la Nouvelle Suzanne !

Ah ! Délicieux Ozon !

Délicieux et versatile Ozon !

Versatile et polymorphe.

Polymorphe... et schizophrène, même...

Stakhanoviste aussi.
Forçat de travail !
Dame ! Douze films en douze ans ! Excusez du peu !
Et pas deux pareils, en plus !

De la fable fantastico-sociale ("Ricky") au huis-clos agathachristien matiné de comédie musicale ("Huit Femmes") en passant par la fresque en costumes (et en anglais: "Angel"), l'adaptation d'une pièce de jeunesse de Fassbinder ("Gouttes d'Eau sur Pierres Brûlantes") ou le fait divers passé à la moulinette de Bruno Bettelheim ("Les Amants Criminels"): toujours là ou ne l'attend pas !

Jamais une redite, toujours la surprise !

Et tout ça en donnant l'impression de construire une oeuvre parfaitement cohérente, s'il-vous-plait bien.

Et en ratant rarement sa tarte Tatin.

La preuve avec cette douzième livraison (donc), qui s'attaque cette fois-ci frontalement au théatre de boulevard, au vaudeville frenchie certifié A.O.C. et d'époque, en adaptant (oh, très librement, il est vrai) une pièce de Barillet et Grédy, Papes du genre, qui fit les belles heures de Jacqueline Maillan, en son temps (eh oui; c'est dire !).

Librement et effrontément.

Car chez Ozon, rien n'est jamais simple.
Et rien n'est jamais innocent.

Et si "Potiche" se rêve avant tout comme la comédie vintage idéale, c'est aussi une critique acerbe et lucide de notre époque et de ses travers ultralibéraux.

Et c'est là où Ozon frappe fort: en jouant sur les deux tableaux.

De manière délibérément outrancière d'un côté, avec un film quasiment fétichiste, qui s'assume et en rajoute trois couches dans le kitsch et la reconstitution maniaque.

Si bien que l'on se croit d'un bout à l'autre dans un Molinaro qui aurait vraiment été tourné à l'époque.

Décors, costumes, coiffures (les brushings de Karin Viard et Judith Godrèche: invraisemblables !), musique: tout y est jusque dans les moindres détails (celui qui tue: la housse de téléphone en velours ! Il y avait la même chez moi quand j'étais petit !): Ozon en fait des tonnes et se joue des clichés, tout en produisant, à la première lecture, une comédie parfois vraiment hilarante, portée par des acteurs survoltés (Deneuve est impériale et Luchini et Depardieu - à part dans le récent "Mammuth", pour ce dernier - n'ont plus été aussi bons depuis des lustres) et des dialogues au cordeau.

Dans la seconde couche de cet aimable mille-feuilles (qui en recèle peut-être encore bien d'autres, allez), se lovent subtilement - ou moins subtilement, tout n'est pas parfait non plus - la critique sociale et les résonnances plus ou moins affirmées avec l'air du temps et surtout la France d'aujourd'hui.

Une délocalisation en Tunisie par-ci, un "casse-toi pauv' con !" par-là... Le fils (Jérémie Renier) qui évolue tranquillou vers son coming-out... Ce genre de choses, quoi...

Le tout transcendé par des digressions (la scène dans la boîte, presque réminiscente de "Pulp Fiction) pour le moins réjouissantes.

Et même si, forcément, le tout à parfois des faux airs de théatre filmé, on se sent bienvenu au spectacle et l'on se réjouit de ce nouveau manifeste féministe et social d'un cinéaste décidément à la fois branque, déterminé et attachant.

Tout en se demandant ce qu'il va bien pouvoir trouver pour la suite...




Cote: ***

Aucun commentaire: