lundi 20 septembre 2010


Epiphanie.

"Des Hommes et des Dieux" de Xavier Beauvois (F); avec Lambert Wilson, Michael Lonsdale, Olivier Rabourdin, Philippe Laudenbach, Jacques Herlin, Olivier Perrier...

1996, dans les montagnes du Maghreb. Huit moines français vivent en harmonie avec la population du village voisin. Lorsque des travailleurs étrangers sont égorgé sur un chantier proche, la terreur s'installe dans la région. L'armée propose aux religieux de les protéger, ceux-ci refusent. Au fur et à mesure qu'autour d'eux la menace grandit et se précise, la décision des moines de rester coûte que coûte semble se raffermir...

Oh oui, je sais.
Je vous vois venir de loin, bande d'alevins des torrents alpestres. J'entends d'ici mugir, tels féroces soldats, ceux qui parmi vous, goguenards, vont évidemment mettre le ton de cette chronique - que je vous promets d'ores et déjà dythirambique - sur le compte de ma normande rencontre avec Xavier Beauvois.
Ou encore ceux qui, plus prosaïquement, m'accuseront d' "intellectualisme", d'auteurisme forcené, voire de complaisance suspecte envers le Festival de Cannes et les films qui en sont issus. Pire: qui y ont été primés !

Et je dois à l'honnêteté de dire que je trouve quelque part ces soupçons justifiés.

Mauvais esprit comme je suis, j'aurais même tendance à nourrir la même défiance envers certains journalistes professionnels de ma connaissance (pas forcément dans le cas qui nous occupe, d'ailleurs, mais là n'est pas la question).

Et pourtant je vous le jure, je vous l'assure, rien de tout cela ici.
Rien d'autre que du vrai, du ressenti, du vécu.
Car c'est bien à ce niveau-là que ça se joue.
Et de ce point de vue je vous le confirme: "Des Hommes et des Dieux" secoue sévère !

Je peux même dire que ça faisait fort longtemps - ça se compte en années, pour vous situer - qu'un film ne m'avait fait un tel effet. Je suis sorti de là lessivé, brisé, broyé, torché, en larmes et quasiment en état de choc.

Pas question pour autant de révélation au sens christique du terme, mon athéisme bon teint ne souffrant pas de remise en question (ah ah !), je vous rassure.
D'ailleurs, nulle trace ici de bondieuserie ni de prosélytisme, le vrai sujet n'étant évidemment pas là. Pas plus de trace d'ailleurs d'un éventuel et opportun oecuménisme, du type "toutes les religions se valent/nous sommes tous frères/aimons nous les uns les autres", même s'il serait aisé, trop aisé, sans doute, d'y voir le message "primal" du film.

Non, le vrai sujet, le vrai "message" de ces "Hommes..." - si tant est qu'il y en ait vraiment un, quand on voit à quel point Beauvois se situe à la lisière du non-dit, de la suggestion et du filigrane - concerne plutôt les notions de sacrifice ou d'engagement.
Et nous pose à tous la même question: serions-nous prêts à mourir pour une cause, quelle qu'elle soit (politique, religieuse, morale...) ?

Pour nous montrer le cheminement intérieur de ses moines en un long trajet vers l'inéluctable, le réalisateur avance lentement, construisant son film en une sorte de crescendo d'autant plus puissant qu'il est tout d'abord presque imperceptible.

Calmement, posément, de manière parfois austère, celui-ci évolue vers une dernière demi-heure d'autant plus traumatisante qu'elle aura justement été minutieusement préparée.

D'un lyrisme ample, la mise en scène (qui nous réserve quand même ça et là quelques morceaux de bravoure pré, voire "in", climax*) nous mène de manière presque incidieuse vers cette longue conclusion, véritable choc esthétique et émotionnel qui nous laisse pantelants, épuisés, écrasés par une athmosphère que n'auraient finalement reniés ni Bresson, ni surtout Tarkovski.

Ca fait beaucoup ? Certes. Et encore...

Et encore tout ça ne serait rien sans l'interprétation collégiale d'une troupe de comédiens littéralement en état de grâce, de Lambert Wilson dont je ne pensais pas dire ça un jour à Michael "un César sinon rien" Lonsdale en passant par tous les autres, les Jacques Herlin, les Philippe Laudenbach, les Olivier Rabourdin... Tous. Tellement parfaits qu'on en a mal pour eux.

Alors, oui, c'est lent et austère et ça se mérite un peu.
C'est parfois trop écrit, un brin verbeux et ça passe peut-être de manière un peu superficielle sur les tenants et les aboutissants historico-politiques de l'époque et du pays.

Mais ça n'en aboutit pas moins à l'uns des grands chocs cinématographiques de l'année, voire plus.

Et bien sûr, je suis conscient du fait que, par son sujet et son traitement, "Des Hommes et des Dieux" va laisser indifférent, ennuyer, voire déplaire à pas mal de gens.
Mais pour le coup, tout prétentieux que ce soit**, je m'en fous.

Parce que voila: tant pis pour eux.

Cote: ****


(* En particulier la scène du repas sur fond de "Lac des Cygnes" et son long travelling circulaire sur les visages des moines, en gros plans de plus en plus resserrés)

(** Je n'en suis plus à ça près, savez-vous...)

1 commentaire:

Joaquim a dit…

Vu hier...je pourrais écrire la même chronique...Ce que j'aime beaucoup dans ce film c'est l'absence de musique (d'ambiance) inutile...très grand film...