mardi 15 décembre 2009



Ma vie est un roman.

"A l'Origine" de Xavier Giannoli (F); avec François Cluzet, Emmanuelle Devos, Gérard Depardieu, Stéphanie Sokolinski, Vincent Rottiers, Nathalie Boutefeu...

Philippe (ou bien est-ce Paul ?) est un escroc à la petite semaine, vivant d'expédients. Un beau jour, par hasard, il tombe sur un chantier d'autoroute abandonné, les écologistes locaux l'ayant fait fermer pour protéger une espèce rare de scarabée... A l'époque, cette fermeture avait sonné le glas économique et social de toute une région. Philippe - ou Paul ? - y voit l'occasion de monter l'escroquerie de sa carrière. Mais, peu à peu, son mensonge va lui échapper. Et son passé le rattraper...

Ce qui frappe d'entrée de jeu avec "A l'Origine", c'est son lien de parenté évident avec l'affaire Romand et ses adaptations successives (le bouquin d'Emmanuel Carrère, d'abord, et le magnifique film qu'en a tiré Nicole Garcia, ensuite. Avec déjà François Cluzet* -dans un rôle secondaire, il est vrai, mais il n'empêche que cela rajoute au trouble...).

Même personnage de mystificateur, même fuite en avant, même incapacité à communiquer, et, corrolaire à tout cela, même impossibilité à considérer le renoncement comme une option.

Continuant à exploiter le filon de ses précédents films, Xavier Giannoli, s'évertue ici, une fois de plus, à explorer les zones d'ombre d'un homme étrange, en rupture, lessivé et aux abois.
Qui traîne avec lui un sacré sac de non dits et une évidente fêlure.

Sans pour autant forcément chercher à expliquer, d'ailleurs.

C'est particulièrement flagrant lorsque "Philippe" (Paul ?) sent les mailles du filet se resserer sur lui et qu'il continue, pourtant. S'obstinant dans sa folle entreprise. Car, comme il le dit, il ne peut décidément plus faire marche arrière.

Empruntant tour à tour les sentiers rebattus du polar (l'excellente intervention de Depardieu en ancien complice floué et tourné maître-chanteur), ceux du film social, disons, "à la française" (on ne pense pour une fois pas à Ken Loach, ou si peu...) ou encore du mélodrame, le réalisateur - que l'on avait laissé sur l'excellente note de "Quand j'étais chanteur", avou déjà le Gros Gégé - sait doser ses effets, avançant presque en pointillés pour nous conter la curieuse histoire de cet homme qui, de petit escroc, évolue en arnaqueur monstrueux - prenant en otage les espoirs d'une ville entière - avant d'exploser en loser magnifique, Robin des Bois loupé passant de justesse à côté de sa propre rédemption.**

L'histoire, pourtant, prétendument adapté d'un fait divers réel, est évidemment incroyable !

Et ce n'est pas la moindre des prouesses de la part de Giannoli que de nous y faire croire, justement. En adoptant pour se faire et à la lettre le principe de son anti-héros, selon lequel "plus c'est gros, mieux ça passe".

Le plus fort étant que, au-delà du conte à vocation humaniste, politique, sociale (allons-y !), "A l'Origine" et son réalisateur arrivent encore à nous ménager de magnifiques et très étonnants moments de cinéma.

Toutes les scènes de construction de l'autoroute, bien entendu.

Mais aussi, et même en particulier, ce moment incroyable où les engins de chantier traversent la petite ville, accueillis en héros par les habitants émus, les applaudissant sur le pas de leur porte...

A côté de ces instants de pure émotion, la structure narrative, détaillant les relations entre le faux entrepreneur et les habitants, la manière dont il monte son "scénario" (mais aussi celle dont le "scénario" en question lui échappe) et les moyens de plus en plus désespérés qu'il met en oeuvre pour retarder l'inéluctable échéance, distillent en arrière-fond un suspense prégnant et intense, incidieux même, lequel finit par complètement nous scotcher.

François Cluzet, à mille lieues de sa prestation en demi-teinte du récent "Dernier pour la Route", emballe ici vraiment, dans un rôle d'une subilité peu commune, alternant le chaud et le froid; tantôt flambeur magnifique, tantôt paumé complet, toujours sur le fil, entre manipulation, délire et complète implosion.

Ses partenaire sont eux aussi à la hauteur: Emmanuelle Devos, bien sûr, mais aussi et surtout les jeunes Vincent Rottiers ("Les Diables") et Stéphanie Sokolinski ("Ma Place au Soleil") dont nos services nous disent qu'il serait bien échu*** de les tenir sérieusement à l'oeil.

Pour conclure (ouf !) et malgré un sournois plafond dont la chute m'empêcha presque de le voir, on peut dire que "A l'Origine", plus très à chaud et à la louche, est peut-être - sans doute ! - le meilleur film français de l'année quasi écoulée, juste derrière un certain "Prophète".

Et, mazette, tout cela n'est pas peu dire !


Cote: ****


(* Et Emmanuelle Devos, tiens !)

(** Record de la plus longue phrase battu. Pas lu Proust pour rien, misère de misère !)

(*** Topic des bêtes expressions)


Et record d'astérisques sur une même critique, aussi...


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