Elle danse, la Mia ! *"
Fish Tank" de Andrea Arnold (UK);
avec Katie Jarvis, Michael Fassbender, Kierston Wareing, Harry Treadaway, Rebecca Griffiths, Sarah Bayes...
Mia, 15 ans, réfractaire à tout et à tout le monde, ne semble avoir qu'une seule passion: danser le hip hop dans des appartements désaffectés. Un beau jour d'été, sa mère ramène à la maison Connor, son nouveau petit ami, au physique d'éphèbe et au comportement, semble-t-il, différent des précédents. Pour Mia, cela ressemble à un début de changement. A moins que...
Une boule de nerfs, une boule de hargne !
Dès les premières images de "Fish Tank", on sait qu'il va se passer quelque chose de pas ordinaire...
En se collant aux basques de Mia, ado rebelle, révoltée contre tout et tout le monde, en guerre avec le monde entier,
Andrea Arnold va nous emmener plus loin que l'on ne le croit et, surtout, ailleurs, sur des sentiers étrangement peu balisés, plus surprenants que l'on ne pourrait le croire de prime abord...
Certes, le début du film, pour enthousiasmant qu'il soit, semble nous balader en terrain connu: ado butée, en décrochage scolaire, dont les relations familiales dégénèrent souvent en joutes verbales...
Banlieue grise et terne, misère sociale, quart-monde...
Tout est là pour donner l'impression qu'on est chez
Ken Loach (ou plutôt chez
Shane Meadows, celui de "
This is England") .
Et ce n'est évidemment pas faux !
Mais l'atout majeur de 'Fish Tank" c'est qu'il dépasse vite - et largement - cet apparent carcan.
Qu'il transcende ces codes pour évoluer vers quelque chose d'autre...
Une sorte de
teen movie socialement concerné.
Intelligent.
Et bizarrement poétique...
D'abord par la grâce de son personnage principal et celle de son interprête; l'incroyable
Katie Jarvis (repérée lors d'un casting sauvage alors qu'elle s'engueulait avec son mec, chacun d'un côté d'une voie ferrée...).
D'absolument
TOUS les plans, tantôt précédée, tantôt suivie (façon "
Elephant") par la caméra portée et virevoltante de la réalisatrice, toujours en mouvement, eléctrisante d'énergie brute, tétanisante de présence; elle traverse le film comme une météorite de frustration et de rage pure.
L'insulte aux lèvres et le coup de boule facile, Mia/Katie (comment, en effet, dissocier le personnage de l' "actrice" ?) ne fait pas que porter le film à bout de bras...
Elle le tire, elle l'aspire, le soulève et finit par l'emmener vers des hauteurs insoupçonnées.
Oui, rien que ça !
Mais elle est bien aidée, avouons-le, par une construction cinématographique d'une justesse de ton, d'une finesse et d'une intelligence rarement vues. A tous points... de vues (sic).
Par le regard d'une réalisatrice qui a le bon goût de ne pas la juger - ni elle ni son entourage - et de ne pas la magnifier.
La rendant par celà paradoxalement encore plus attachante.
C'est que Mia n'est pas vraiment jolie, non.
Ni vraiment aimable.
Qu'elle se croit parfois plus fûtée qu'elle ne l'est vraiment.
Et qu'elle ne prend pas forcément toujours les bonnes décisions (et c'est un euphémisme !)...
Mais voilà. C'est justement ce qui fait d'elle ce qu'elle est: une jeune fille paumée, cherchant l'amour dans un monde désespérant, se débattant non pour survivre: simplement pour exister !
Et ceux qui l'entourent sont à l'avenant: la mère trop jeune, alcoolo à la cuisse légère, incapable du moindre geste d'affection, la petite soeur grande gueule, la bouche pleine de gros mots et bien entendu le nouveau "beau-père" potentiel; celui qui trouble, qui éveille les sens et qui se révèlera finalement la pire des ordures.
Tous sont embrassés du même regard, sans que l'on cherche à expliquer, à démontrer quoi que ce soit. Laissant au spectateur le soin de se faire sa propre opinion. Sans jamais montrer du doigt.
Le scénario en lui-même est exemplaire dans sa progression, faisant monter crescendo sa petite histoire vers une conclusion visiblement téléphonée jusqu'à ce que, tout à coup, au détour d'une scène, tout bascule et parte admirablement en sucette (la dernière partie du film est réellement confondante, surprenante et riche en retournements de situations).
Le tout est emballé avec une maestria visuelle vraiment
TRES surprenante de la part d'un prétendu "film social anglais", qui plus est filmé entièrement caméra à l'épaule...
Outre de très beaux plans "illustratifs" - jamais gratuits - qui renvoient au "
Hunger" de Steve McQueen, (avec déjà Michael Fassbender) - genre couchers de soleil et autres envols d'oiseaux à vous faire tomber la machoire par terre - "Fish Tank" ménage carrément aussi au spectateur quelques scènes quasiment en apesanteur (les scènes de hip hop, seule passion visible de Mia, échappatoire à la grisaille de son quotidien, mais aussi celle où elle fait semblant de dormir pour que Connor la porte dans son lit ou, évidemment, la virée à la "campagne" qui donne son titre au film)...
Enfin, il serait impossible et injuste de passer sous silence l'excellence générale du reste du casting.
De
Michael Fassbender, salaud magnifique, magistal de lâcheté ambigüe, à
Kierston "It's a Free World" Wareing, très touchante, elle aussi, en mère larguée, en passant par la toute jeune et très drôle Rebecca Griffiths, y a rien à dire: c'est que des Rolls Royce !
Normal, me direz-vous, c'est un film britannique et on ne soulignera jamais assez le fait que les acteurs du cru sont sans doute les meilleurs du monde.
Oui mais bon... Ouais.
Alors, comme on le verra ci-contre (à droite), malgré tous ces superlatifs, "Fish Tank" ne figure qu'en troisième position de mon top du moment (et ce sera probablement pareil pour le Top 20 de fin d'année, d'ailleurs...).
Oui.
Parce que d'un point de vue purement cinématographique, "Un Prophète" ou "Le Ruban Blanc" sont peut-être des oeuvres objectivement - et strictement - plus abouties.
Sans doute.
Mais au niveau de l'émotion pure, de celle qui vous remue vraiment et en profondeur, "Fish Tank" est sans doute le film qui m'aura le plus boulerversé cette année.
Et largement, même.
Alors, sans vouloir en rajouter trois couches non plus**, si vous n'allez qu'une fois par an au cinéma, c'est peut-être - sûrement même -
LE film que vous devez voir en salle en 2009, voire 2010.
Alors, qu'est-ce que vous attendez ? Courez-y, bande de ladres !
Et adoptez Mia ! Ce magnifique, ce poignant, cet incroyable petit animal...
Ainsi que Katie Jarvis, tiens.
Ni plus ni moins que la révélation de l'année !
Cote: **** (et même presque une de plus, allez !)
(* Je suis vraiment, vraiment désolé !)
(** Oui, bon...)