lundi 30 juillet 2012


No future, et après ?

"Le Grand Soir" de Gustave Kervern et Benoît Delépine (F); avec Benoît Poelvoorde, Albert Dupontel, Brigitte Fontaine, Areski Belkacem, Bouli Lanners, Serge Larivière...

Monsieur et Madame Bonzini tiennent un restaurant, "La Pataterie"; dans un zoning commercial. Leur fils aîné, Ben, dit "Not", est prétendument le plus vieux punk à chien (et quel chien !) d'Europe. L'autre, Jean-Pierre, est un cadre commercial stressé par son boulot dans un magasin de literie, par ses traîtes et par son prochain divorce. Après avoir pété les plombs dans les grandes largeurs il se retrouve licencié, ce qui le rapproche de son déjanté frangin...

S'il y a bien quelque chose d'admirable dans le cinéma de Kervern et Delépine, c'est sa permanente évolution.

D' "Altraa" en "Louise-Michel", de "Mammuth" en "Grand Soir", tant sur le fond que sur la forme, leurs films évoluent sans cesse pour un mieux, comme si ils ne cessaient d'apprendre et de se nourrir de leurs erreurs passées, de leurs rencontres, de leur expérience et de la vie.

De plus en plus maîtrisés d'un point de vue technique et formel - même si leur manière de filmer, disons, frontale est encore là et bien là, comme une marque de fabrique - il s'affinent d'un opus à l'autre, y ajoutant une photo de plus en plus belle, même si toujours très âpre, et - cette fois plus encore que dans les précédents - de vraies idées de mise en scène (la scène d'ouverture, le gimmick des caméras de surveillance...).

Sur le fond, tout en jouant la carte de la comédie loufoque ou du conte social déjanté, ils signent ici un film sans doute plus noir et plus désabusé encore que les précédents, tout en se débarrassant enfin des oripeaux qui ornaient ceux-ci et pouvaient - du moins jusqu'à "Louise-Michel" - les voir se faire taxer de cynisme ou de "fausse humanité", regardant leurs personnages d'un oeil finalement plus méprisant que ce qu'ils voulaient admettre.

On sent au contraire ici une vraie tendresse pour ces losers magnifiques qu'ils mettent en scène de manière à la fois poétique et délirante, avec une énergie punk débordante et un sens du comique pleinement assumé.

Car avant tout "Le Grand Soir" est drôle.

Très drôle.

Extrèmement drôle.

A se pisser dessus, même.

Aussi bien au niveau des dialogues (celui entre Bouli et Poelvoorde à propos de la maison de Oui-oui est tout simplement anthologique) que des situations (le gâteau d'anniversaire, les "courses" de Poelvoorde avec la vieille dame, le suicide, la "danse" devant la pizzeria, le licenciement de Dupontel, la recherche d'emploi... On ne saurait pas les citer toutes) ou des apparitions des "habitués" (Depardieu en bonnet péruvien lisant l'avenir dans l'eau-de-vie pulvérisant tous les records de caméos passés, présents et à venir, quel que soit le film), "Le Grand Soir" casse toutes les baraques à frites humoristiques possibles et imaginables.

Mais avec son constat en demi-teinte et malheureusement lucide sur l'inutilité des appels à la révolte (qui renvoie plaisamment à la mode actuelle des Indignés), le film se veut également touchant, émouvant même.

Drôle et triste à la fois.

En composant un personnage magnifiquement fragile et borderline, tellement à fleur de tout qu'il en file le vertige, Poelvoorde trouve ici sans doute le plus beau rôle de sa carrière, so far.
D'autant plus impressionnant qu'il arrive à ne pas "faire du Poelvoorde" avec un personnage qu'on aurait pu croire écrit pour ça.
Il est même à ce point impressionnant qu'il arrive presque à éclipser un Dupontel pourtant lui aussi en toute grande forme (olympique, allez, c'est de saison).

Et, fort de tout ces atouts, "Le Grand Soir" se déroule.
Lucide, débonnaire, sombre, salutaire, jusqu'à un final sublime, d'une intensité folle qui prouve bien toute la démesure à la fois lyrique et anar du duo grolandais, sublimant un film globalement impeccable jusque dans ses dérapages.

Si il n'y avait pas les Wampas, allez, ce serait presque parfait.


Cote: ***

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