
(Clint Eastwood - b. 1930)
Teenage Kicks.
"Paranoid Park" de Gus Van Sant (USA); avec Gabe Nevins, Taylor Momsen, Jake Miller, Lauren McKinney, Daniel Liu, Grace Carter...
Le jeune Alex, skateur, tue accidentellement un agent de sécurité aux alentours de Paranoid Park, skate-park malfamé de la banlieue de Portland...
On pourait facilement se débarasser de ce nouvel opus de Gus Van Sant en le taxant pûrement et simplement d' "Elephant 2"...
Mais, si il est vrai que le réalisateur creuse ici le même - beau - sillon, ce serait jeter bien vite le bébé avec l'eau du bain...
Bien sûr, les filiations thématiques - l'adolescence et ses codes confrontés à l'indifférence, voire l'hostilité, du reste du monde - autant que stylistiques - même insistance sur les détails, même façon de filmer les corps (souvent de dos), même sens du cadre et de la photo (automnale et mélancolique), pourraient faire pencher la balance en ce sens.
Mais s'il existe une différence de taille entre ce film et les deux premiers tomes de la trilogie qu'il semble clore ("Elephant", donc, mais aussi le moins réussi "Last Days") c'est au niveau du récit qu'elle se situe.
Cette mascarade d'enquête policière cool et zen, habilement déstructurée, sert de colonne vertébrale au film autant qu'elle fait avancer le jeune héros, sorte de Raskolnikov grunge*, sur le terrain de la culpabilité et de responsabilité individuelle.
Le spectateur, confronté à cette énigme bizarrement fragmentée, toute en courbes et en ellipses comme une piste de skate, est obligé de la reconstituer avec ce qu'on lui donne, suivant en cela le cheminement interne du jeune Alex et ses divers atermoiements.
Bien entendu, comme toujours chez Van Sant, cette histoire, intriguante soit-elle, ne serait rien sans la mise en scène, magistrale!
La photo de Christopher Doyle, une fois encore, fait des merveilles surtout quand, comme ici, elle est associée à de véritables paysages sonores qui ponctuent le film à chaque moment fort.
Mais, s'il envoute par son rythme faussement détaché et sa poésie languide, "Paranoid Park" pêche aussi malheureusement - et un peu trop souvent - par excès de pose.
Le tout a un côté arty un peu trop systématique que pour être honnête. Avouons-le.
Et chaque médaille à son revers...
Le mise en scène est sublime mais se complait trop dans la redondance et le contemplatif, prétant ainsi l'échine aux accusations d'autocitation qu'elle semblait par ailleurs vouloir éviter.
Le travail sur le son est impressionnant mais un peu trop branchouilleux que pour emporter entièrement l'adhésion.
Et Gus Van Sant perd un peu trop son temps à s'abimer en contemplation devant le - très beau - visage de son jeune acteur non professionnel (Gabe Nevins, recruté via MySpace pour ceux qui n'auraient pas encore entendu l'anecdote) que pour ne pas lasser.
Et puis le côté fluide et étrangement paisible de la mise en place d'un film comme "Elephant" (encore) fait trop souvent place ici à un manque de rythme mal venu.
En résumé, il faut bien le dire: "Paranoid Park" est un splendide objet qui provoque un très agréable vertige mais qui, faute d'assez se concentrer sur son récit et en se complaisant trop dans une satisfaction d'artiste intelligent mais gâté ne finit que par provoquer une seule et unique réaction: "Oui mais... A quoi bon?"
Côte: **
(* Oooouuhhh, comment je m'la pête!)
L'enfance cachée...
"Un Secret" de Claude Miller (F); avec Cécile de France, Patrick Bruel, Ludivine Sagnier, Mathieu Amalric, Julie Depardieu, Yves Verhoeven...
L'exploration d'un lourd secret de famille à travers l'histoire de François, enfant chétif et solitaire qui s'invente un frère et imagine le passé de ses parents.
Jusqu'à ce qu'une amie de la famille lui révèle toute la vérité sur ceux-ci.
Une vérité qui trouve sa source dans l'une des périodes les plus sombres de l'Histoire.
Claude Miller est un cinéaste sympathique mais franchement inégal.
Capable de chefs-d'oeuvre tels que "Garde à Vue", qui valût à Serrault son deuxième César ou d'oeuvres atypiques comme "La Classe de Neige", curieux mélange de film initatique, de psychanalyse et d'horreur, on l'avait laissé en petite forme avec sa tentative d'adaptation moderne et poussive de "La Mouette" de Tchekhov ("La Petite Lili").
C'est donc avec d'autant plus de plaisir qu'on se frotte à ce "Secret" brillant et gorgé d'émotions.
Le parti pris, culloté, du réalisateur est de nous présenter la petite histoire comme prenant le pas sur la Grande.
La guerre n'est ici finalement qu'une sorte de bruit de fond, de grondement de tonnerre lointain. Jamais rien ne nous sera montré directement, c'est même à peine si l'on va entrevoir un soldat allemand.
Les conséquences du drame n'en sauront que plus monstrueuses, les décisions prises par les protagonistes plus terribles, les révélations plus implacables.
On pourra reprocher à Miller de pécher par excès de classicisme, par manque d'audace...
Ou, au contraire, louer la solide sobriété de sa mise en scène...
C'est vrai qu'on l'a connu plus inspiré d'un point de vue strictement formel.
Le film, construit sur des allers-retours entre différentes époques gigognes se perd un peu dans sa propre narration.
Et puis, c'est certain, l'alternance couleur/noir et blanc n'est pas ce que l'on a trouvé de plus original pour évoquer le passage des ans.
C'est vrai encore que la période contemporaine, avec ses acteur grimés, n'est pas la plus réussie, malgré la présence du toujours excellent Mathieu Amalric.
Et que l'on peut aussi reprocher à l'auteur la lourdeur de certaines métaphores, comme celle du chien (on n'en dira pas plus) ainsi que l'inutile sursignifiance de son épilogue.
On peut se laisser aller à dire tout celà, c'est vrai.
Mais on est aussi obligé de reconnaitre la force du souffle romanesque qui traverse le film.
Ainsi que celle des questions qu'il pose, tant sur la mémoire, personnelle ou collective, que sur l'importance de la famille.
Sur l'identité, aussi, et sur la remise en question de celle-ci, mise à mal par la culture, la religion, les conventions, les choix que la vie nous pousse à faire.
On est du coup soufflé par la force des silences et des non dits et d'autant plus bouleversé par les décisions que certains personnages doivent prendre.
Le monde semble tellement paisible, pour paraphraser Deville, que quand le malheur frappe - et il frappe plus d'une fois - on se retrouve, comme les personnages, totalement paralysé par son absurdité et sa violence.
A ce titre, dans la seconde partie du film, certaines scènes dont on ne dira rien de peur de trop en dévoiler sont véritablement magnifiques. A la fois de folie, de sensualité et de passion contenue.
Evidemment, Miller est ici fortement aidé dans sa tâche par un casting glamourissime et des acteurs qui balayent tout sur leur passage.
Cécile de France, d'abord, qui porte le film sur ses frêles mais ravissantes épaules.
A la fois victime et bourreau malgré elle, elle n'a jamais été aussi belle, sensible et rayonnante (eh ben! voilà que je m'énerve tout seul maintenant!).
Bruel, plus étonnamment, ensuite, qui nous offre une prestation très sobre, presque à contre-emploi, même s'il ne peux pas s'empêcher de nous faire une fois ou l'autre le coup des yeux de cocker.
Et les seconds rôles, enfin, tous parfaits, de Yves Verhoeven génial en beau frère rigolo qui essaie de désamorcer par l'humour des situations potentiellement plombées par la sinistrose à la décidément formidable Julie Depardieu.
Sans oublier Ludivine Sagnier, bien sûr, dans un rôle pivot et particulièrement ingrât.
A l'arrivée, un film ambitieux et exigeant, à la fois classique et audacieux.
Une fresque populaire tout autant qu'un drame intimiste, dont la force émotionnelle, denrée finalement assez rare dans le cinéma français contemporain, finit par tout emporter.
Beau et sensible, quoi.
Et ça, ça fait aussi du bien, de temps en temps...
Côte: ***
Chambre à part.
"Chambre 1408" (1408) de Mikaël Hafstrom (USA); avec John Cusack; Mary McCormack, Samuel L. Jackson, Jasmine Jessica Anthony, Tony Shalhoub...
Mike Enslin est un écrivain spécialisé dans les histoires de fantômes. Mais c'est avant tout un sceptique. Et les nombreuses heures passées dans des endroits soi-disants hantés n'ont fait que le conforter dans ses doutes.
Alors qu'il est en pleine préparation de son nouvel ouvrage, Mike reçoit une carte-postale l'enjoignant de se méfier d'une certaine chambre 1408, au Dolphin Hotel, à New-York.
Piqué au vif et malgré les mises en garde répétées du directeur de l'endroit, Mike Enslin décide d'y passer une nuit...
Et boum!
Voilà donc la 1408ème adaptation - au bas mot! - d'un texte de Stephen King au cinéma!
Et Dieu sait si lesdites adaptations ont connu jusqu'ici des fortunes diverses, allant du meilleur ("Dead Zone", "Carrie", "Shining", "Stand By Me"...) au franchement médiocre (une kyrielle de "direct-to-video" dont les titres m'échappent).
Avec malheureusement un penchant assez affirmé pour la seconde catégorie, en général...
Qu'en est-il donc de celui-ci?
Une pierre supplémentaire à l'édifice du "prêt-à-manger" horrifique qu'est tout doucement devenue l'oeuvre du King, du moins sur grand écran?
Ou bien avons-nous droit pour une fois à une oeuvrette sortant quelque peu des sentiers battus et rebattus de l' "horreur domestique" auxquels nous avait ces derniers temps habitué le "Maître"?
Eh bien, aussi étonnant que celà puisse paraitre à la lecture de la fiche technique (Hafstrom, réalisateur du très oubliable "Dérapage" avec Clive Owen et Jennifer Aniston en femme fatale (!) ne semblait pas le mieux armé pour se cogner à l'univers ultra-codé de l' auteur. D'autant que les fans dudit auteur allaient plus que vraisemblablement l'attendre au détour) la balance penche ici du bon côté.
Pourtant c'était pas gagné d'avance, avec une unité de temps et de lieu quasiment unique, un seul acteur à l'écran pendant la majeure partie du film et des thèmes pas vraiment originaux, tant au niveau du genre horrifique en général que de celui de Stephen King en particulier.
Mais voilà, pour des raisons aussi diverses que variées, la sauce prend et on se retrouve au final devant un solide film de fantômes à l'ancienne.
Dans le bon sens du terme.
Oh, c'est sûr, ce n'est pas un chef d'oeuvre, faut pas pousser non plus.
Le film à ses faiblesses, bien entendu.
A chercher essentiellement du côté des baisses de rythme et d'un montage paresseux (l'un va rarement sans l'autre) d'ailleurs...
Bien sûr, bien sûr, hôtel hanté oblige on pense à "Shining", d'autant que biens d'autres obsessions "kinguiennes" se retrouvent à l'écran: le trauma familial, le héros-écrivain en proie au doute, la perte d'un enfant, etc.
Jusque dans les plus petits détails, comme cette cigarette-fétiche qui renvoie directement à "Misery"...
Et puis ce n'est pas tout, il y a du "Silent Hill", aussi, au détour de certaines situations...
Entre autres choses...
Mais, malgré le côté solidement classique de la mise en scène, on y croit.
D'abord grâce à l'originalité du scénario et de son traitement, qui ménagent suffisament de rebondissements, de twists et de retournements de situations que pour garder le spectateur rivé à son fauteuil jusqu'à la toute, toute fin.
Quoi de plus agréable, en effet que de se persuader dès la troisième bobine qu'on a complètement éventé l'intrigue pour finalement se retrouver cueilli, pris par surprise quand le dénouement arrive?
Ensuite grâce à la direction artistique, splendide (la scène de la corniche et celle de la chambre enneigée sont à tomber par terre) et aux effets spéciaux, eux aussi old school, simples mais efficaces (même si certains, comme les apparitions des précédentes victimes de la chambre, tombent un peu à plat).
Enfin - et on pourrait presque écrire "bien entendu" - grâce à la prestation sans faille de John Cusack!
Présent dans presque toutes les scènes, le comédien réalise un véritable tour de force en passant du cynisme glacé au désespoir le plus profond, de la trouille noire à l'émotion pure avec une facilité d'autant plus étonnante qu'il joue la plupart du temps sans aucun partenaire.
Et puis - et c'est finalement ça le plus important - toute ces choses et bien d'autres encore finissent par se mettre en place pour provoquer la seule et unique chose que l'on cherche en allant voir un film pareil: la pétoche!
Pas qu'on tremble ou que l'on fasse dans son pantalon, non, on n'en est plus là (surtout moi après toutes ces années de Bifff, allez!).
Mais on se retrouve quand même très agréablement mal à l'aise à la vision de cette petite série B certes pas révolutionnaire, non, mais en tout cas bien chouette à voir.
Au point que celà donne presque envie de se relire un bon vieux Stephen King!
Et ça, après tout, c'est bien le principal...
Côte: **
Bienvenue dans un monde de merde...
"99 Francs" de Jan Kounen (F); avec Jean Dujardin, Vahina Giocante, Jocelyn Quivrin, Elisa Tovati, Patrick Mille, Nicolas Marié...
Octave Parango est créatif dans la pub.
Il bosse pour la plus grosse boite du moment.
Il est couvert de fric, de femmes et de coke.
Il a un train de vie insensé et est, de son propre avis, une véritable merde.
Il est le Maitre du Monde...
Pourtant, deux événements vont bouleverser son univers et tout remettre en question...
Il est permis de détester Frédéric Beigbeder. Sa tronche de planche à pain, ses costards à la con, son parisianisme exacerbé, ses plans marketing érigés en dogme...
Il est possible de ne pas aimer Jan Kounen. Son cinoche plein de gimmicks, son chamanisme à deux balles, son côté "MTv de l'altermondialisme"...
Il n'est même pas invraisemblable d'être agacé par Jean Dujardin. Son omniprésence médiatique, sa dégaine de Belmondo du programme court, trop sympa et rassurant pour être honnête...
On peut donc logiquement aborder "99 Francs" (le roman du premier, adapté par le deuxième avec le troisième en tête d'affiche pour ceux qui reviendraient d'une mission de plusieurs années dans l'espace) avec une curiosité teinté de méfiance.
Avoir envie de le voir et en même temps se dire d'avance que l'on va être agacé...
C'était mon cas.
Et on peut dire que, dans les premières minutes, le film tient toutes ces promesses: on a vraiment envie de flinguer ce personnage antipathique et merdeux et de sortir de la salle, tant le traitement apparemment gadget de l'affaire à de quoi irriter.
Et puis petit à petit les chose se mettent en place...
La charge anti-pub (assez sévère bien que parfois un peut trop attendue) prend le dessus.
Le personnage se révèle.
Les effets - omniprésents - prennent tout doucement une autre place et une autre dimension.
Et on se laisse avoir...
Parce qu'il s'agit bien de ça!
Et en celà le film est particulièrement roublard et Kounen très malin, qui use et abuse des armes de son adversaire: montage ultra-cut, déluge d'informations, trouvailles visuelles, musique über signifiante, pétarades et déflagration qui finissent par transformer "99 Francs" en un véritable clip à la gloire de lui-même.
C'est visuellement épatant (comme dirait Marc Ysaye), c'est sûr.
On est bien obligéde le reconnaitre.
Mais ce n'est pas pour autant un OVNI cinématographique, comme on a pu le lire ça et là dans la presse spécialisée, essentiellement française. OVNI pour le cinéma hexagonal, oui peut-être... Pour le reste...
Pour le reste, Kounen se contente de recycler, brillament il est vrai, les idées des autres. Poussant de ce fait la parabole encore plus loin.
Enfonçant encore plus le clou de sa charge anti-consummériste...
Et de "Las Vegas Parano" à "Trainspotting", de "Fight Club" à "Requiem for a Dream" en passant par Aphex Twin, "2001" ou même "Kill Bill" (eh oui! il y a même un passage en manga! Enfin, "en manga"... en dessin animé...) on peut dire que sa ratisse très, très, très large!
Mais c'est fait avec tellement d'énergie et un sens si aiguisé du fun qu'on se laisse complètement avoir. Ce qui, en fin de compte, illustre très bien le propos du film n'est il pas?
Il est.
Bien sûr, c'est tellement foisonnant qu'il y a forcément à boire et à manger.
De fausses bonnes idées (les apparitions de Beigbeder himself en Badman), des trucs qui tombent complètement à plat (une avalanche pour symboliser la coke, ouh ouh ouh!) et même un twist final rigolo mais quand même fort gadget...
Et puis parfois on se dit que "99 Francs" épouse un peu trop les tics qu'il est censé dénoncer.
Et forcément, ça agace...
Mais à côté de ça il se passe tellement de choses qu'on ne s'ennuie pas une seconde, c'est suffisament bien foutu pour qu'on en prenne plein les yeux et assez finaud pour qu'on en sorte sans se sentir floué.
On pourrait même dire de certaines scènes qu'elles ont un potentiel "anthologique" (la fausse pub Kinder, par exemple. Mais pas seulement).
Et puis y a rien à faire, Dujardin est parfait!
Présent dans quasi toutes les scènes il déroule un vrai grand numéro de crapule thrash, comique et pathétique à la fois.
Même s'il est - bien - entouré de solides seconds rôles (les bombasses Vahina Giocante et Elisa Tovati, l'excellentissime Jocelyn Quivrin et surtout Nicolas Marié, plus vrai que nature en déclinaison 2000 du Julien Guiomar période Tricatel) c'est évidemment sur lui que repose tout le film et il s'en sort plus qu'avec les honneurs, on est bien obligé de l'avouer.
Ce qui nous donne en fin de compte, un film en forme de montagnes russes, plus amusant que vraiment virulent mais qui à le mérite d'amuser franchement.
Un film qu'on aurait aimé voir plus un poil plus mordant, un poil plus pessimiste mais qu'on ne peut pas s'empêcher d'aimer quand même.
Somme toute un bon produit.
Bien emballé et surtout bien vendu.
Côte: ***