lundi 19 mars 2012

Double foyer.

"La Taupe" (Tinker, Tailor, Soldier, Spy) de Tomas Alfredson (UK); avec Gary Oldman, Colin Firth, John Hurt, Tom Hardy, Toby Jones, Mark Strong...

1973. La Guerre Froide bât encore son plein. Suite à une mission râtée en Hongrie, le patron du MI6 britannique ainsi que son fidèle second, George Smiley, sont mis sur la touche. Cependant, Smiley est bien vite secrètement réactivé sur injonction du Gouvernement, persuadé que les Services Secrets britanniques sont infiltrés par un agent double au service des soviétiques. Epaulé par le jeune Peter Guilliam, Smiley tente de débusquer la taupe, mais ses efforts sont mis à mal par ses propres relations troubles avec l'espion russe en chef, le mystérieux Karla.

Alors là, attention: voilà un film qui envoie le bois et pas qu'un peu !

On a ici affaire à un travail d'orfèvre, du boulot d'artisan solide, intelligent et efficace qui place d'entrée de jeu cette adaptation du premier tome de la "Trilogie de Karla" de John Le Carré au niveau des plus grands films d'espionnages de style "Guerre Froide".

Du travail impeccable, comme on n'en fait quasiment plus - ou en tout cas très peu - de nos jours qui hisse le film - pourtant un film de genre (et quel genre) - vers des hauteurs insoupçonnées.

Celles, exigeantes et pointues, des fictions empreintes d'une paranoïa aïgue telles que pouvaient en signer jadis des Friedkin, Pakula, Lumet ou Coppola (voyez "Conversation Secrète", ce genre).
Je ne vais pas vous faire non plus l'affront de vous ressortir ici le couplet sur le "Véritable Age d'Or du Cinéma Hollywoodien" et ce que j'en pense, vous savez de quoi je parle.

Et ça vous donne d'entrée de jeu une idée de ce que je peux penser d'un film comme "La Taupe".

Ah, ça, le moins qu'on puisse dire c'est qu'on a à faire ici à un film "lent" (dans le sens où il y a paradoxalement fort peu d'action), cérébral et quelque peu... bavard...
Un film touffu, à l'intrigue ultra complexe, qui multiplie les intrigues, les personnages secondaires et les digressions en tout genre.
Et les rebondissements.
Les retournements de situation.

Et qui pour autant ne vous perd pas en route, vous captive d'un bout à l'autre.
Vous tiens en haleine, même, au gré d'un suspense que l'on qualifierait volontiers de "haletant" si l'expression n'était pas aussi galvaudée.

Grâce à qui, à quoi ?

A un scénario ultra écrit et surtout ultra tenu, qui joue avec les codes d'un genre révolu sans jamais sombrer dans la nostalgie ni la citation tout en restituant de manière admirablement fluide la commplexité du roman d'origine.

A une réalisation magnifique, qui confirme après "Morse" que Tomas Alfredson est un tout grand Monsieur de la mise en scène, qui filme la froideur glâcée de la Guerre Froide avec la même mélancolie désincarnée que celle avec laquelle il emballait jadis les états d'âmes d'un gamin suédois des années '80.
Une réalisation qui refuse à tout crin l'ostentatoire et le démonstratif, si ce n'est dans la reconstitution d'époque.
Celle qui nous permet justement de suivre intîmement la guerre feutrée de ces papys en tweed et en lunettes d'écailles.
Une guerre d'autant plus redoutable qu'elle se joue en sourdine.

Un film finalement extrèmement audacieux sous ses dehors pépères, tellement il tire fort sur la corde des non-dits, tellement il en dit sans vraiment en montrer.
A moins que ce ne soit le contraire.

Une adaptation envoûtante qui doit aussi beaucoup - évidemment - à sa troupe stupéfiante de comédiens 100% british (Colin Firth, John Hurt, Tom Hardy... excusez du peu) au sommet de laquelle trône, telle une statue grecque, un Gary Oldman qui pousse tellement loin la finesse de jeu et la retenue qu'on pourrait presque le croire sur le point d'imploser.

Ca peut paraître exagéré mais c'est ainsi: au final, "La Taupe", que l'on croyait bien parti pour n'être rien de plus qu'une solide série B d'espionnage comme il y en a tant d'autres, réussit le coup de force d'une telle conjonction de talent et de savoir-faire qu'elle en finit par vous donner le vertige.


Cote: ****

Aucun commentaire: