mardi 23 mars 2010


Gothika ! Gothika !

"Shutter Island" de Martin Scorsese (USA); avec Leonardo DiCaprio, Mark Ruffalo, Ben Kingsley, Michelle Williams, Max von Sydow, Emily Mortimer...

1954. Le marshal Teddy Daniels et son équipier Chuck Aule sont envoyés sur Shutter Island, une île du port de Boston abritant un hôpital-prison où sont détenus des malades criminels. Ou le contraire. L'une des "patientes", Rachel Solando, s'est volatilisée. Elle a, semble-t-il, glissé à travers les murs de sa cellule, fermée de l'intérieur. Et ne peut de toute façon pas avoir quitté les lieux... Se heurtant à l'hostilité du personnel médical et pénitentiaire, les deux fédéraux mênent l'enquête.

La surprise est de taille, surtout pour tout qui, comme moi, a lu le bouquin.

"Shutter Island" est donc le Grand Film Gothique de Martin Scorsese ! Son premier film d'horreur, en quelque sorte.

C'est quelque part le prolongement logique du roman de Dennis Lehane (lequel, de "Mystic River" en 'Gone Baby Gone" a décidément de la chance avec ses adaptations cinématographiques), à l'ambiance déjà particulièrement glauque et paranoïaque.

Mais disons que ce qui fait la singularité du film par rapport à celui-ci (Le roman. On suit, allez !) c'est que Scorsese creuse opiniatrement un sillon qui n'est que filigrane dans l'oeuvre originale.

Le transformant du coup en une espèce de film d'horreur gothique et foldingue vraiment flippant et surtout, par endroit, extrèmement déconcertant.

C'est bien simple: il y a des moments où l'on se demande ce que le spectateur lambda - celui qui n'aurait justement pas lu le livre - doit penser de tout ça.
Du moins jusqu'au retournement final.
Car oui, bien sûr, "Shutter Island" est un film à twist(s).
Un vrai, un pur, un dur.
L'un de ceux qui méritent d'être revu, une fois le dénouement connu, pout se rendre compte à quel point il recèle d'a priori insoupçonnables niveaux de lecture...

De ce point de vue, la réalisation discrètement virtuose (ce qui la rend d'autant plus impressionnante) de Martin Scorsese, construite sur un intelligent crescendo, sert admirablement l'histoire en collant à la fois aux obsessions du réalisateur (héros à la limite de la sociopathie, perte de repères, aliénation, quête de la rédemption...) et à la réalité historique (paranoïa, Guerre Froide et mccarthysme sous-jascent).

La première partie, à la direction artistique et à la reconstitution d'époque (jusqu'au jeu des acteurs) monstrueuse, donne carrément l'impression, non pas de voir un film dont l'action se situe dans les années '50, mais bien un film tourné dans les années '50 !

La seconde, qui donne dans la surenchère hystérique et horrifique à grands coups de scènes-choc (les rats, le QHS, la grotte, le phare...), de cadrages baroques et d'inteprétation hallucinée (DiCaprio donne par moment l'impression d'être vraiment devenu fou !), fait basculer le tout dans une sorte de grand cauchemar éveillé dont l'esthétique n'est pas sans rappeller celle du giallo - voire du film d'horreur italien dans les grandes largeurs.

Le tout jusqu'à la conclusion, au cours de laquelle les pièces se mettent diaboliquement en place.

Les acteurs font bien sûr beaucoup pour la réussite de l'entreprise, Ben Kingsley (bien aidé par un rôle "à canne") et le vieux Max von Sydow en tête, réellement inquiétants.
Mais, outre le quasi-caméo glaçant de Ted "Silence des Agneaux" Levine dans le rôle du Mal Incarné (le directeur de l'asile-prison), c'est Mark Ruffalo qui, dans un rôle-clé pourtant nettement moins expensif, presque en retrait, emporte finalement le morceau.

Reste bien sûr à se dire qu'il est malheureux, quelque part, qu'un film pareil arrive si tard, après une cargaison de "Sixième Sens", "Usuals Suspects" et autres... "Les Autres"... (oui, bon...)

Parce que, oui, pour un certain public blasé, le côté "tiroirs" de l'intrigue peut paraître un peu faible et éventé.

Et à regretter aussi qu'il ait fallu une fois de plus rajouter une scène explicative somme toute inutile, pour être sûr que le spectacteur amériki de base comprenne bien tout ce qui se passe (même si la dite scène, bien amenée, n'est pas honteuse en soi).

Mais malgré tout cela, et en dehors de quelques esprits chagrins qui tiennent absolument à voir en "Shutter Island" un Scorsese mineur, le film tient au final sa place dans la carrière de son auteur.

Une place étonnante, atypique, puisqu'explorant un genre jusqu'ici peu ou pas défriché.

Ce qui laisse sous entendre que le brave Marty en garde encore un peu sous le pied, si pas sous le coude.

Et qu'il pourrait continuer à nous surprendre de la sorte.

Et vous savez quoi ?

Eh ben tant mieux !



Cote: ***

2 commentaires:

Unknown a dit…

C'est marrant, la scène explicative dont tu parles. la plupart des gens avec lesquels j'ai parlé de ce film (je ne l'ai pas vu personnellement) m'ont tous donné l'une ou l'autre explication finale au pourquoi du comment (je n'en ai relevé que deux différentes, celle où Di Caprio est en fait un grand malade qui se fait un film et l'autre où il est devenu finalement malade là-bas en vivant tout çà). Peut-être cette scène "explicative" n'est finalement pas si explicite que çà pour quelqu'un qui n'a pas lu le bouquin?

Cartman a dit…

En effet, c'est bizarre. Ca me semblait pourtant clair est net. Mais bon, mon point de vue est biaisé vu que moi, j'ai lu le bouquin, justement.

DINGUE !