Croquettes de crevettes.
"District 9" de Neill Blomkamp (SA); avec Sharlto Copley, Vanessa Haywood, Jason Cope, Robert Hobbs, David James, Nathalie Boltt...
Depuis 28 ans, un gigantesque vaisseau extraterrestre stationne au-dessus de Johannesbourg. Les aliens qu'il contenait, réfugiés malades et livrés à eux-mêmes ont été depuis parqués dans un camp, le District 9. Celui-ci est géré par MNU, une société privée qui cherche à faire fonctionner l'armement extraterrestre, lequel ne peut être rendu opérationnel que grâce à l'ADN des créatures. Suite aux plaintes de la population, MNU organise le transfert des E.T. vers un nouveau camp, plus éloigné de la ville. Wilkus van der Merwe, un fonctionnaire complètement inapte, est chargé de superviser l'opération...
Voilà, c'est classique ! Voilà ce qui arrive quand on me survend un film comme si c'était la 8ème Merveille du 9ème Art. Je suis déçu !
Et ici c'est peu de dire que le buzz a fonctionné à plein régime.
Sites et magazines spécialisés, "collègues" journaleux (spécialisé ou non, quant à eux), télé, potes... Tout et tous abondaient dans le même sens: "District 9" c'est LA bombe du moment !
Avec, pour faire monter encore un peu plus la mayonnaise, cet espèce de label "petit film bricolé pour 5 francs 6 sous par d'illustres inconnus, dans leur coin" (et en Afrique du Sud, en plus !), "brol qui va rapporter des millions alors qu'il a coûté dix balles", gnagnagna, ce genre...
Mouais... Voire...
Illustres inconnus, bricolage, micro-budget...
L'engin est quand même produit par Peter Jackson, excusez du peu !
Et torché par l'un de ses protégés, Neill Blomkamp, déjà bien connu des spécialistes pour avoir réalisé pas mal de clips et de pubs côtées (dont celle avec la bagnole qui s'anime et qui danse façon Transformers. Pub qu'il recycle vaguement ici et qui m'a toujours bizarrement mis mal à l'aise).
Et puis, si l'ensemble a un côté bricolé - et c'est ici que le gaillard, roublard, nous rattrape - c'est plus dans la forme, dans le style...
C'est donc délibéré, voulu... et maîtrisé.
Et c'est là que c'est habile, bien entendu.
Parce que, trève de plaisanterie, "déception", je rigole.
Faut pas pousser !
Par rapport aux sommets attendus, d'accord, peut être. Mais c'est bien tout.
Car si l'on peut nourir de sérieuses et légitimes réserves à son égard, "District 9" est quand même à l'arrivée une belle "petite" réussite.
Dans ce qu'il raconte d'abord, bien sûr, et dans sa métaphore (peut-être un peu trop) évidente de l'Apartheid (oui, bon, tarte à la crème, le fait que l'action soit située à Jo'bourg n'y est évidemment pas pour rien) et de l'intolérance en général.
Par son côté politiquement incorrect ensuite.
Parce que, là aussi, c'est peu dire que tout le monde morfle et sévèrement.
Sud-africains présentés comme des rednecks racistes, nigérians (misère !) et même extraterrestres, ce qui est particulièrement culotté quand on sait ce qu'ils sont sensés symboliser.
Crades, sanguins, vindicatifs, vénaux, ils concentrent en eux toutes les tares.
Et pourtant, au milieu de toute cette fange, ils finissent par paraître curieusement attachants.
Ce qui ne nous empêche pas de rire - car, oui, le film est surtout drôle - de la manière dont on les traite. Et même dont on les élimine.
La forme, enfin, vient généreusement enfoncer le clou.
Le film mélange les genres avec un bonheur évident: comédie, donc (le début on dirait presque "The Office" avec des aliens, d'autant que le personnage incarné par l'étonnant Sharlto Copley renvoie de manière curieuse à celui que Ricky Gervais campe dans la série), S.F., bien sûr (et de la belle, le look des E.T. et le gros vaisseau en particulier, même si la direction artistique et les effets spéciaux frôlent parfois le D.I.Y.), du film d'action pur boules, du quasi-film social, n'en jetez plus, la cour est pleine.
Et d'un point de vue stylistique et formel ça suit.
En épousant de manière pour une fois maîtrisée un genre que l'on croyait pourtant usé jusqu'à la corde surtout ces dernières années - à savoir celui du faux reportage caméra à l'épaule, truffé de pseudos interview et variant autant les points de vue que les supports - "District 9" atteint un niveau de dynamisme que l'on ne pensait quasiment plus possible dans un film de genre.
Alors, oui, bien sûr, il y a des défauts.
Le film est trop long de manière générale et surtout sur la fin (vingt minutes de fusillade ultra redondante et finalement chiantissime qui auraient très bien pu tenir en cinq).
Blomkamp a tendance à étirer à l'infini un scénario tenant finalement sur un ticket de tram.
Non pas en multipliant les scènes inutiles mais bien en étirant à l'extrème toutes celles qu'il a sous la main (je ne sais pas si c'est bien clair mais bon).
Et puis il y a des trous dans la narration, des scènes un peu bancales et quelques personnages - quand même - par trop caricaturaux.
Mais allez, bon, bref...
L'un dans l'autre il est quand même permis de savourer comme il se doit ce petit film de genre original et mal lavé.
Sans pour autant en faire le film de l'année.
Alors, déçu ? Où avez-vous lu que j'ai été déçu ?
Cote: ***
dimanche 25 octobre 2009
mardi 20 octobre 2009
"L'Armée du Crime" de Robert Guédiguian (F); avec Simon Abkarian, Virginie Ledoyen, Robinson Stévenin, Lola Naymark, Grégoire Leprince-Ringuet, Ariane Ascaride...
Dans Paris occupé par les allemands, l'ouvrier, poète et militant Missak Manouchian, d'origine arménienne, rentre en Résistance et prend - un peu malgré lui - la tête d'un groupe composé de très jeunes gens. Des juifs, des communistes et anarchistes espagnols, italiens, des hongrois, des roumains... Ensemble, déterminés à libérer la France qui les a accueillis, ils vont harceler les nazis et les collaborateurs. Très vite, la police française va se déchainer...
Robert Guédiguian est un cinéaste digne.
Digne et militant.
C'est aussi un type obstiné.
Voire monomaniaque.
Voici plus de 20 ans (30, presque, en fait) qu'il trace son incontournable sillon.
S'écartant rarement de son quartier de l'Estaque, à Marseille, s'éloignant peu de ses éternels portraits de petites gens, restant fidèle à son indéboulonnable "famille" de comédiens (au premier rang desquels on retrouve bien évidemment son épouse, Ariane Ascaride, mais également des talents tels que ceux de Jacques Boudet, Gérard Meylan ou Jean-Pierre Darroussin).
Ces dernières annés, néanmoins, ou plutôt, devrait-on dire, dans ses derniers films, le cinéaste phocéen s'écarte quelque peu de ces sentiers si bien balisés par lui-même pour s'aventurer vers de nouveaux horizons, qui résonnent comme autant des nouvelles (enfin, "nouvelles", pas tant que ça, après tout) obsessions...
L'Histoire ("Le Promeneur du Champ de Mars"), le film de genre ("Lady Jane") et surtout l'exploration de ses racines arméniennes ("Le Voyage en Arménie", forcément).
Et voila que "L'Armée du Crime" regroupe et synthétise à la fois toutes ces nouvelles pistes, ces nouvelles préoccupations...
En réalisant ce beau film, digne lui aussi, un peu figé, un peu austère, presque timide, Guédiguian colle au plus près de ses origines et de celles de son peuple.
Revient sans en avoir l'air sur un génocide qui ne veut pas encore dire son nom.
Fouille les heures les plus noires et les plus douloureuses de son pays, la France (car si "L'Armée du Crime" est une charge, elle est presque exclusivement dirigée vers le rôle de la collaboration française, de sa police, du régime de Vichy, comme tout cela est très bien résumé dans l'épisode tétanisant de la Rafle du Vel'-d'Hiv', où l'officier nazi félicite le commissaire français en insistant sur le fait que les allemands n'ont "quasiment rien eut à faire").
Il reste aussi fidèle à ses convictions politiques en brossant le portrait d'un groupe de résistants apatrides réellement motivés par leur haine du nazisme et galvanisés par leurs propres idéaux - communistes, anarchistes - et combattant l'ennemi avec sans doute plus de conviction que pas mal d'autochtones.
Ce qui renvoie également à un bon paquet de préoccupations très actuelles, bien entendu...
Bien servi par une troupe d'acteurs impressionante elle aussi de conviction et d'investissement (de Simon Abkarian à Jean-Pierre Darroussin, soufflant dans son rôle de flic veule et collabo "par intérêt", en passant par Virginie Ledoyen, Lola Naymark ou le tout jeune Grégoire Leprince-Ringuet), Robert Guédiguian reste pourtant bizarrement en retrait.
Trop cérébral, trop respectueux, comme paralysé par l'importance du sujet, voire de l'enjeu, il signe un film une fois de plus digne, engagé, touchant - même - par endroits mais manquant singulièrement de ce souffle épique qui faisait la réussite de son grand frère "L'Armée des Ombres", auquel tant le titre que le sujet renvoient, comme une évidence.
Mais il n'empêche.
Derrière cet apparent vernis d'académisme, d'intellectualisme un peu froid, "L'Armée du Crime" touche quand même au plus juste de par ce qu'il raconte, ce qu'il montre et ce dont il témoigne.
Et par la sincérité de son réalisateur et de ses interprêtes.
Dont l'humble et somme toute très relative maladresse face à un sujet aussi important - et imposant - finit presque par devenir un atout.
Cote: ***
lundi 19 octobre 2009
Bakélite et formica.
"Le Petit Nicolas" de Laurent Tirard (F); avec Maxime Godart, Valérie Lemercier, Kad Merad, Sandrine Kiberlain, Daniel Prévost, Anémone...
Nicolas mène somme toute une existence paisible entre ses parents plutôt cools et aimants et l'école, où gravite sa bande de chouettes copains avec laquelle il s'amuse bien. Il n'a donc aucune envie que ça change. Aussi, n'est-il pas franchement ravi lorsqu'il croît comprendre qu'il va bientôt avoir un petit frère...
Je n'en fais pas mystère, je suis un fan absolu de René Goscinny !
Il est pour moi comme une incarnation de Dieu-sur-terre - si tant est qu'une telle formule puisse être d'application en ce qui me concerne...
Un peu comme Woody Allen, Martin Scorsese ou David Bowie en somme...
Et parmi ses créations, "Le Petit Nicolas" a toujours été l'une de mes favorites.
Une question de souvenir ému ramenant au temps chéri de l'enfance, sans doute (hum... ou alors "sic").
C'est pour cette raison, bien évidemment, que je suis allé voir le film qui en est issu, avant de me tourner prochainement - si ! je vous assure ! - vers l'adaptation de Lucky Luke, du même mais par et avec d'autres.
Parce qu'il faut bien le dire d'entrée, pour fidèle qu'elle soit à l'esprit d'origine, l'espèce de label "qualité française" qui semble estampiller l'oeuvre, avec son réalisateur "popu" et son défilé de stars franchouillardes, ce côté "formaté prime time sur TF1" n'était au départ pas très engageant.
Et pourtant, au final, il faut bien avouer que le résultat se rapproche globalement plus de ce cinéma populaire tel qu'on en produisait dans les années 60/70 que des horribles produits qualibrés comme en débitent à l'envi de nos jours les chaînes de télé.
Je dis bien "globalement".
Mais bon.
Quand même...
Grâce en soit rendue à un scénario finaud et drôle, s'appuyant autant sur les évidentes qualités de séduction des enfants (c'est toujours rigolo et émouvant, un gosse, quand c'est bien dirigé. Et ceux-ci se révèlent particulièrement doués et biens choisis ma foi) que sur une histoire qui n'oublie pas de se hisser à hauteur d'adultes.
Ce qui permet au film, tout en cultivant ce côté mignon propre au Petit Nicolas, de ne jamais non plus se vautrer dans la culculterie exaspérante.
Bon, évidemment, c'est tout public, très joli et très (trop ?) policé, renvoyant à une époque révolue, voire même franchement idéalisée...
Car, oui, c'est vrai aussi, le film de Laurent Tirard cultive quelque part, quoiqu'en filigrane, une espèce de nostalgie vaguement réac parce que parfois un peu trop polie pour être honnête.
Mais gageons quand même que le spectateur lambda saura séparer le bon grain de l'ivraie et prendre ce qu'il y a de léger et de gentiment superficiel dans ce petit film agréable et propret.
Et que, aidé par la reconstitution maniaque, l'emballage rose-bonbon et l'efficacité des acteurs (surtout Lemercier et Kiberlain), il appréciera "Le Petit Nicolas" en le prenant pour ce qu'il est.
Soit une aimable sucrerie au parfum désuet.
De celles que nos grands-mères nous offraient le dimanche en les sortant d'une vieille boîte enrubannée...
Oh et puis allez, hein ! Après tout, comme disait l'autre, ça ne mange pas de pain !
Cote: **
lundi 12 octobre 2009
La vie et tout le reste...
"Whatever Works" de Woody Allen (USA); avec Larry David, Evan Rachel Wood, Henry Cavill, Patricia Clarkson, Ed Begley Jr., Michael McKean...
Brillant physicien, Boris Yellnikoff semble avoir tout râté dans sa vie: son mariage, le Prix Nobel et même son suicide. Génie incompris et méconnu, il s'est réfugié dans la misanthropie et la solitude. Jusqu'au jour ou Melody, une ravissante idiote en fugue, se retrouve transie de froid devant sa porte. Boris lui accorde l'asile pour quelques nuits. Et, peu à peu, la jeune femme s'installe...
Ce sacré vieux briscard de Woody Allen !
V'la-t-y pas qu'alors qu'on le pensait définitivement installé dans le train-train, voire le ronron, de charmantes petites "dramedys" brillantes mais volatiles, à l'agréable et rassurant parfum désuet, il arrive encore à nous surprendre et à nous prouver qu'il a encore quand même plus d'un tour dans son sac.
Evidemment, la réussite de cette livraison-ci repose quasiment sur une seule chose: le fait qu'elle ait en fait été écrite aux alentours de 1977 (sa période faste et glorieuse, celle d' "Annie Hall" et de ses Oscars) et ait, depuis, attendu son heure, patiemment, assoupie qu'elle était au fin fond d'un tiroir.
Car, en effet, "Whatever Works" fût écrite à l'intention du comédien Zero Mostel, avec lequel Allen venait de tourner "Le Prête-Nom" (de Martin Ritt, une des rares incursions de Woody dans l'univers d'autres réalisateurs). La mort de Mostel avait forcément compromis la gestation du film et avait renvoyé sa mise en chantier aux calendes grecques.
Bien...
Mais qu'est-ce qui a bien pu décider Woody Allen a ressortir ce projet du placard, plus de trente ans plus tard ?
L'auteur lui-même veut que ce soit la découverte du comédien Larry David en qui il a enfin trouvé l'interprête idéal. Le hic c'est que Allen connaissait déjà David de longue date puisqu'il avait déjà tourné pour lui dans "Radio Days" et dans son sketch de "New York Stories".
Et qui plus est, lorsque l'on entendit pour la première fois parler du projet, c'était bien Allen lui-même qui était prévue pour incarner Boris.
Alors quoi: paresses, slaptitude, manque d'inspiration ?
Un peu de tout ça à la fois ?
Probable mon capitaine...
Mais bon, allezz, n'allons pas pour autant bouder notre plaisir, même si la réussite de cet opus aux origines lointaines jette une légère ombre sur les récents efforts de notre new yorkais favori.
Car, revenons enfin à ce que nous disions en préambule, "Whatever Works" est une vraie réussite.
Le meilleur Woody depuis au moins "Harry dans tous ses états", peut-être même "Tout le Monde di I Love You", voire (si !) "Meurtre Mystérieux à Manhattan".
Et mine de rien, ça remonte...
Et pourquoi ça, alors ?
Tout d'abord parce que le personnage central de Yellnikoff, misanthrope sublime, cynique, râleur, merveilleusement imbu de sa personne, se pose d'emblée comme l'un de plus beau personnage du panthéon allenien.
Bien aidé en cela par un interprête qui lui aussi s'impose comme l'un des meilleurs clônes de l'auteur depuis bien longtemps (condition sine qua non à la réussite d'un film de Woody).
Larry David, co-créateur de la série "Seinfeld" et sujet principal autant qu'interprète de "Larry et son nombril" ("Curb your Enthusiasm" en V.O.) s'empare du double fictif de son réalisateur et lui insuffle ce qu'il faut de drôlerie et d'émotion, poussant le vice jusqu'à prendre à son compte les bégaiements et hésitations de son modèle.
Et comme en plus il lui ressemble presque physiquement...
Pour le reste, lui et les autres interprêtes de cette farce tragi-comique (tous parfaits à l'exemple de la décidément étonnante Evan Rachel Wood et du couple Clarkson/Begley Jr. dans le rôle de ses parents) n'ont qu'a se laisser porter par la vigueur retrouvée de la réalisation, pousser par la mécanique scénaristique soigneusement rôdée et à l'efficacité implacable, propulser par la rigueur incisive de dialogues drôlatiques, truffés de métaphores et d'aphorisme cinglants comme Allen n'en n'avait plus écrits depuis au moins quinze ans.
Certes, on pourra aussi reprocher au cinéaste de recycler à l'envi certains des gimmicks les plus usés de sa période "Annie Hall" (le fait que Boris s'adresse régulièrement au spectateur comme le faisait Alvy Singer, par exemple). Mais ces tics sont tout d'abord d'une efficacité confondante et finissent surtout par faire le pont entre le Woody Allen d'hier et celui d'aujourd'hui.
Pour le plus grand plaisir de ses afficionados.
Alors, faisons comme le dit Woody dans ce film potache et réjouissant: sachons reconnaitre le bonheur et le saisir quand il pointe le bout de son nez !
Or, quoi de plus euphorisant qu'un film réussi par un jeune homme de 73 ans qui semble avoir retrouvé la forme alors que l'on pensait qu'il nous avait tout dit ?
Cote: ***
lundi 5 octobre 2009
"Antichrist" de Lars von Trier (DK); avec Willem Dafoe, Charlotte Gainsbourg...
Un couple en deuil se réfugie dans un un châlet perdu en forêt afin d'essayer de dépasser le traumatisme et de recoller les morceaux. Mais bientôt la nature reprend ses droits, des événements étranges se succèdent... Et tout s'emballe...
Chaos reigns, chaos reigns !
Oui...
Et c'est rien de le dire, misère de misère au Royaume du Danemark !
Parce qu'enfin: qu'est-ce que c'est que ce truc ?
Pour le moins un curieux objet filmique, tenez.
Qui, au-delà du côté intrigant et presque politique de son titre (quoi que...) et du micro-scandale (allez, disons plutôt "brouhaha") qu'il a pu provoquer lors d'un récent Festival qui pourtant en a vu d'autres, tant en matière de sexe que de violence voire même de provoc gratuite (et "Antichrist" c'est un peu tout cela à la fois, oui), à le mérite de donner du grain à moudre aussi bien aux partisans qu'aux détracteurs du danois en kilt.
Et même plus: aux tenants d'un cinéma-divertissement comme à ceux d'un cinéma art-brut.
Et même plus - encore ! - si on y pense...
Mais, non, baste, ne nous embarquons pas non plus dans une thèse de 500 pages (on me reproche déjà suffisament souvent de faire trop long, merci).
Disons plutôt que ce qu'il y a de vraiment bien, avec le film de von Trier c'est que, d'une part, à la manière de certains opus récents de David Lynch, il donne par moment l'impression qu'il y a quelque chose derrière. Que l'on ne voit pas vraiment. Mais que votre cerveau essaye de cerner quand même, vous donnant ainsi la délicieuse impression de tourner à vide, de courir derrière quelque chose qui vous échappe.
Il y a des moments ou la vision d' "Antichrist" nous plonge dans des abîmes de complète perplexité.
Et, ça, c'est franchement agréable, oui.
De la même manière, la véritable trouille qu'il distille par endroits renvoie elle aussi par son irrationalité aux mêmes madeleines cinématographiques. Auxquelles l'on pourrait pour le coup rajouter, de manière plus triviale, des oeuvres telles que "Shining" ou même - et c'est un comble - "Le Projet Blair Witch" !
C'est dire si ça brasse large, oui, et c'est bien là - bien sûr ! -une des faiblesses du film.
En attendant, voila quand même une vraie expérience tripale, d'autant plus impressionnante qu'elle ne se racroche à rien de rationnel, que du contraire.
L'ensemble fais donc d' "Antichrist" une vrai beau momentde cinéma, que l'on aurait envie de qualifier d'ovniesque si l'image n'était pas à ce point rabâchée.
Le corollaire de ce "voyage", pourrait-on dire, se trouve évidemment dans les excès de ce roublard de von Trier dont certaines ficelles sont un peu trop grosses pour ne pas ressembler à de la pure pose et dont certains symboles - gros comme des maisons - font malheureusement retomber l'intrigant soufflé qu'il avait mis au four.
Plastiquement, à l'inverse de ces récentes expérimentations, le film confine au sublime*, renouant avec le côté ultra-maîtrisé et léché de certaines de ses premières oeuvres, "Europa" en tête.
C'est splendide, c'est vrai, oui, c'est là aussi le moins que l'on puisse dire.
Mais ici aussi, hélas, un problème se pose...
Par moment, emporté par son égo, le cinéaste en fait trop, beaucoup trop.
Et pour quelques scènes réellement fabuleuses dans la forêt (qui rappellent effectivement Tarkovski auquel le film est assez logiquement dédié) on doit s'en fader d'autres - telles la scène inaugurale et, pourrait-on presque dire - "fondatrice", dont le clinquant artificiel renvoie presque à l'esthétique d'une pub pour shampooing (mais dans ce cas précis, ça doit être à cause de la douche).
Et tout le film est comme ça.
Oscillant entre vraies audaces et fausse provoc, vista et gros sabots, transe et irritation.
A l'image de son auteur, finalement, à la fois chien fou et sale gosse, cinéaste visionnaire et enfonceur de portes ouvertes.
L'interprétation quand à elle (parce que, oui, ce serait dommage de ne pas en dire un mot) est globalement hors normes; Dafoe et Gainsbourg (visiblement TRES, TRES investie) tout deux à la limite de l'explosion et cassant tout sur leur passage, non-stop ou presque, alors qu'ils sont quand même "seuls en scène" pendant tout la durée du film.
En résumé, au final, un film peu aimable, curieux, bancal, pas clair, peut-être fumiste, peut-être mysogine, sûrement pas assez poli pour être honnête, dont l'on peut comprendre qu'il dérange (certaines scènes sont quand même youplaboum, faut bien l'avouer) mais qui à le mérite indéniable de proposer quelque chose de vraiment différent.
Et, au fond, d'assez passionnant.
Et, oui... Rien que pour ça...
Cote: ***
(*Rien que ça oui ! Allons-y, c'est ma tournée !)