jeudi 18 février 2010


Monte là d'ssus !

"In the Air" (Up in the Air) de Jason Reitman (USA); avec George Clooney, Vera Farmiga, Anna Kendrick, Jason Bateman, Sam Elliott, Melanie Linskey...

Ryan Bingham fait un curieux métier. Il licencie des gens. Pour d'autres. C'est un mercenaire, engagé pour virer des types dans des entreprises qu'il ne connait pas, au service de patrons qui n'ont pas les couilles nécéssaires pour faire le sale boulot eux-même... Pour se faire, il se déplace beaucoup. En avion. Pour tout dire, les avions et les aéroports, c'est un peu toute sa vie. Ou ce qui la remplace...

Jason Reitman...

Retenez bien ce nom !

Dans la série des petits malins qui sont ces derniers temps et mine de rien en train de refaire - avec plus ou moins de bonheur - le portrait d'un certain Panthéon hollywoodien sur le retour, il est de ceux qu'il faut tenir à l'oeil.

Au milieu de tous ces jeunes loups, de Sam Mendes à P.T. Anderson en passant par toute la raïa new-yorkaise (les Wes Anderson et autres Spike Jonze/Sofia Coppola...), il ferait même peut-être figure d'exception.
De part son appartenance à la sous-catégorie "fils à papa" (le sien se prénomme Ivan et en son temps réalisa entre autres un certain "S.O.S. Fantômes" et même sa suite, vous vous souvenez ?), sont talent (certain) et son absence d'esbrouffe, voire sa discrétion (qui le rendent immédiatemment plus sympathique que certains vilains branchouilles sus-nommés).

Après avoir remis au goût du jour le feel-good movie et parallèlement donné un coup de projo pas négligeable sur les carrières tout aussi prometteuses de Mesdemoiselles Diablo Cody et Ellen Page, le voilà qui revient à ce qu'il sait faire de mieux* (du moins semble-t-il, le pédigrée du jeune homme n'est encore lui aussi que dans les starting-blocks, après tout) : la comédie noire et néanmoins humaine.

Pour ne pas dire humaniste.

Car, derrière un apparent vernis de cynisme bon tein et de mauvais esprit politiquement fort incorrect, "In the Air" - sur lequel nous n'aurions pourtant pas parié un kopeck, du moins à la lecture du synopsis - est un film intensément humain, oui.
Altruiste et presque empathique, même (oui, oui, allez, on brade !).

Pour ne pas dire carrément feel good, lui aussi... Tiens...

La première partie, lisse et tendue, fonce comme une flèche, droit devant, avec une efficacité drôlatique mais douce-amère qui fait vraiment plaisir à voir.
Une petite merveille de veaudeville "social" à l'ambigu grinçant mais acéré, servie par une réalisation d'une précision millimétrique, des idées de mise en scène hilarantes (la scène du début avec Zach "The Bearded One" Galifianakis), un montage d'une fluidité à tomber par terre et des dialogues qui sifflent au-dessus des têtes comme autant de balles dum-dum.

Qui dit mieux ?
Personne, merci, c'est ma tournée de superlatifs !

La seconde (partie. Y en a qui suivent ou... ? ...) dans laquelle le personnage de coupeur de têtes incarné par Clooney s'humanise et se fissure progressivement au contact de son entourage - ses soeurs, son futur beauf, sa jeune collègue, son nouveau plan-cul-et-plus-si-affinités - pour finir par littéralement exploser en vol (oui, oui, jeu de mots...) au détour d'une scène-clé dite "du perron", magnifique de simplicité et d'intensité émotionnelle, semble de ce fait accuser un vague petit coup de mou.

Mais qu'on ne s'y trompe pas: ce n'est que pour mieux rebondir au gré d'un scénario à l'écriture brillament tenue, qui ménage son lot de morceaux de bravoure low-fi et permet aux acteurs de dérouler de forts beaux numéros.
Froutch...

Dans un rôle qui semble avoir été taillé pour lui, charmant et dégueulasse à la fois, George Clooney fait évidemment des merveilles.
En "social killer" s'éveillant progressivement à la vie et à l'amour, quitte à remettre soudainement en question non seulement une échelle de valeurs mais carrément un mode de vie, il trouve ici un rôle idéal.
Trop, a-t-on presque même envie de dire, tant le personnage et l'acteur finissent par quelque part se confondre.
A ses côtés, ses deux partenaires féminines brillent également.

Vera Farmiga, évidemment, en contrepoint idéal, presque clône au féminin par qui le doute arrive...

Mais aussi, surtout aurait-on presque envie de dire, notre première et triomphale "Révélation de l'Année", la toute jeune et stupéfiante Anna Kendrick !

Dans le rôle de la jeune collègue psychorigide mais qui ne demande qu'à se lâcher, donnant tour à tour envie de la baffer ou de la serrer dans vos bras, elle abat un boulot collossal, arrachant littéralement tout sur son passage.

D'ailleurs, et c'est bien simple, la scène où elle se fait larguer par sms, au cours de laquelle elle arrive à la fois - en l'espace d'une seconde - à vous faire hurler de rire ET à vous déchirer le coeur vaut presque à elle seule le coup d'aller voir le film.

Les trois viennent d'ailleurs de décrocher une nomination (chacun, évidemment, baudets !) aux Oscars. On pense ce que l'on veut de la cérémonie, ce n'est peut-être pas pour rien.

Enfin... Oui. Bon.

Mais allez, en deux mots comme en cent, voila, résumons-nous...

Et disons nous que, pour toutes ces raisons et bien d'autres encore - et malgré une fin qui penche peut-être paradoxalement un peu trop du côté Bisounours de la Force - "In the Air" se pose comme une nouvelle réussite de la part d'un néo-réalisateur qui n'a sans doute pas fini de nous étonner, loin s'en faut.

Et dont, nom de tcheu !, on attend toujours le premier faux-pas.

Gageons qu'il ne soit pas près d'arriver, tenez.

Quoi qu'il en soit et en tout cas: go, Jason ! On y croit !


Cote: ****


lundi 15 février 2010


It's the end of the world as we know it...

"La Route" (The Road) de John Hillcoat (USA); avec Viggo Mortensen, Kodi Smit-McPhee, Charlize Theron, Robert Duvall, Guy Pearce, Molly Parker...

Il y a plus de dix ans que le monde a explosé sans que personne ne sache exactement ni comment ni pourquoi. Ou du moins sans que personne ne s'en souvienne. Plus d'énergie, plus de végétation, plus d'animaux, plus de nourriture, plus rien... Dans cet univers dévasté, recouvert de cendres, où ce qui reste de l'humanité est retourné à la barbarie et au cannibalisme, un père et son fils suivent une route qui les mènera peut-être à un hypothétique océan...

Allez, une fois n'est pas coutume, intéressons-nous d'entrée de jeu à de l'anecdotique.
Anecdotique, certes, mais oh combien troublant que ce placement de produit réussi ici comme un véritable tour de force...
Dans un monde post-apocalyptique où plus rien en tiens debout, où plus rien n'existe, notre héros arrive donc à dénicher une canette de Coca-Cola et à la donner en offrande (y a pas d'autre mot) à son fils (lequel, né juste après la catastrophe n'a bien entendu aucune idée de ce que cela peut bien être).

Arriver à faire de la pub dans un film pareil, on avouera qu'il fallait être particulièrement retors.

Certes, c'est un détail et qui plus est la scène en question existe bel et bien dans le bouquin (bien qu'en moins appuyée).
Mais quand même ! Faut l'faire !
Et, surtout, il faut voir comment c'est fait !
C'est bien simple, on dirait qu'ils ont découvert le feu !

Tout cela est quand même un peu fort de café, comme on voudra bien l'admettre...

Enfin, bon, bref. Baste.

Et au delà de ce point de détail cinématographique, qu'en est-il de cette "Route", donc, me direz-vous ?

Eh bien, tout d'abord - et contrairement à ce que d'aucuns ont pu prétendre - il s'agit, à quelques détails près (on parle bien sûr ici d'adaptation cinématographique, après tout) d'un film fort fidèle au matériau d'origine, ce roman de Cormac McCarthy que je suis d'ailleurs loin de considérer comme son meilleur, mais là n'est pas la question.

L'ayant lu récemment il était encore suffisamment présent à mon esprit pour que je puisse m'en rendre compte.
C'est d'ailleurs étonnant de retrouver à l'écran le déroulement précis d'un tel bouquin, dans lequel il ne se passe finalement pas grand chose.

Mais c'est peut-être là aussi toute la force du film de John Hillcoat: avoir su, comme le roman, rendre palpable cette monotonie, cette redondance lasse qui, ne serait-ce quelques explosions de violence éparse, caractérise le quotidien des deux protagonistes.

Adoptant pour ce faire un rythme lent, presque languide, répétitif, qui doit laisser perplexe tout qui n'a pas lu le livre...

Bien entendu, ici aussi, différence de support et de média oblige (il est des choses que l'on peut faire passer en douceur par les mots mais qui demandent visuellement plus d'emphase), les rares moments du film où il se passe réellement quelque chose (essentiellement les deux/trois rencontres avec les "hordes cannibales" qui, dans le bouquin sont évoquées en filigrane) sont ici montés en épingle et rendus sensiblement plus spectaculaires - encore que tout cela reste finalement fort relatif.

Pour le reste, cette sombre balade morbide déroule son petit ronron morne et terne avec application et une certaine cruauté (la scène où le père apprend au fils comment se servir du revolver pour en finir si le besoin s'en fait sentir, par exemple), à peine aéré par un ou deux flashbacks, pour autant pas forcément jojos eux non plus...

On l'aura compris, "La Route" n'est ni un film drôle, loin s'en faut, ni une énième variation sur le thème de "Mad Max".

Conte sombre, dur et métaphorique sur la déliquescence d'une société, c'est plutôt une oeuvre austère, relativement exigeante, qui demandera au spectateur une certaine attention, voire une forme inconditionnelle d'adhésion.

En d'autres termes: ça passe ou ça casse.

D'un point de vue purement technique, "La Route" offre quand même un spectacle pour le moins impressionnant, avec sa direction artistique maousse et ses CGI discrets mais bien utilisés.
Le décor post-apocalyptique traversé tout du long par nos deux compères n'est rien moins qu'incroyable, avec sa couche de cendre omniprésente, ses colonnes de fumée, ses forêts calcinées, ses immeubles en ruines, ses ponts effondrés et ses bateaux à l'abandon.
C'en est même étonnant de voir toute cette débauche technique au service d'un scénario somme toute introspectif et quasi-philosophique.

Seuls à l'écran pendant presque toute la durée du film, Viggo Mortensen (comme toujours impresionnant d'intensité) et le tout jeune Kodi Smit-McPhee occupent celui-ci avec une indéniable présence, leurs "partenaires" (de Robert Duvall à Guy Pearce en passant par la lumineuse Charlize Theron) se limitant à de simples apparitions.

La très crédible et très émouvante relation père/fils qu'ils composent achevant, sur le fil, de donner au film ce petit supplément d'âme dont semblait vouloir le priver jusqu'ici ce côté peut-être un petit peu trop cérébral.
Trop exigeant, peut-être ?

Si tant est que cela puisse vraiment être un défaut...


Cote: **

samedi 13 février 2010


Rions un brin...

Comme chaque année à la même période, les nominations pour les Oscars et les Césars sont tombées (depuis un petit temps déjà, avouons-le). Je ne vais pas les publier ici in extenso* mais je vais par contre, comme tous les ans, me livrer au petit jeu des pronostics. Donc, c'est simple: un "vote" par catégorie principale (pas les techniques, donc) plus un outsider au cas où (mais c'est pas obligé). Après on compte un point par prévision correcte (et un demi si c'est l'outsider qui a gagné) et on rigole bien parce que, comme d'hab, j'ai tout faux.

Ce qui complique encore un peu plus les choses cette année, c'est que les nominations se sont multipliées - tant aux Oscars qu'au Césars - dans les catégories "films" (et "films étrangers" en ce qui concerne les Césars): 10 nominations - contre 5 habituellement - dans la catégorie "Meilleur Film" pour les Oscars, 7 (au lieu de 5 également) pour les Césars (également dans la catégorie "Meilleur Film Etranger", donc).

Bref.

Verdict le 27 février pour les Césars et et le 07 mars pour les Oscars (de ce côté là c'est retour à la normale par rapport à l'année dernière).

-Pronostics Oscars:

-Meilleur Film: "Avatar", de James Cameron.

-Meilleur Réalisateur: James Cameron pour "Avatar".

-Meilleur Acteur: Jeff Bridges pour "Crazy Heart", de Scott Cooper (outsider: George Clooney pour "In the Air", de Jason Reitman).

-Meilleure Actrice: Sandra Bullock pour "The Blind Side", de John Lee Hancock.

-Meilleur Second Rôle Masculin: Christoph Waltz pour "Inglorious Basterds", de Quentin Tarantino (outsider: Stanley Tucci pour "Lovely Bones", de Peter Jackson).

-Meilleur Second Rôle Féminin: Mo'Nique pour "Precious", de Lee Daniels (outsider: Vera Farmiga pour "In the Air", de Jason Reitman).

-Meilleur Film Etranger: "Le Ruban Blanc", de Michael Haneke (AU) (outsider: "Fausta", de Claudia Llosa (PE) ).

-Meilleur Film d'Animation: "Là-haut !", de Pete Docter.


-Pronostics Césars:

-Meilleur Film: "Un Prophète", de Jacques Audiard.

-Meilleur Réalisateur: Jacques Audiard pour "Un Prophète".

-Meilleur Acteur: Vincent Lindon pour "Welcome", de Philippe Lioret (outsider: Tahar Rahim pour "Un Prophète", de Jacques Audiard).

-Meilleure Actrice: Isabelle Adjani pour "La Journée de la Jupe", de Jean-Paul Lilienfeld (outsider: Audrey Tautou pour "Coco avant Chanel", d'Anne Fontaine).

-Meilleur Second Rôle Masculin: Niels Arestrup pour "Un Prophète", de Jacques Audiard.

-Meilleur Second Rôle Féminin: Anne Consigny pour "Rapt", de Lucas Belvaux (outsider: Emmanuelle Devos pour "A l'Origine", de Xavier Giannoli).

-Meilleure Première Oeuvre: "Qu'un seul tienne et les autres suivront", de Léa Fehner.

-Meilleur Espoir Masculin: Tahar Rahim pour "Un Prophète", de Jacques Audiard.

-Meilleur Film Etranger: "Le Ruban Blanc", de Michael Haneke (AU) (outsider: "Slumdog Millionaire", de Danny Boyle (UK) ).

-Meilleur Documentaire: "Home", de Yann-Arthus Bertrand.


(*pour la liste des nominations aux Oscars c'est et pour celle des Césars c'est ici).

jeudi 11 février 2010


Trois rabbins et une bar mitzvah.

"A Serious Man" d'Ethan et Joel Coen (USA); avec Michael Stuhlbarg, Richard Kind, Fred Melamed, Sari Lennick, Adam Arkin, Amy Landecker...

1967. Larry Gopnick est prof de physique dans une petite université du Midwest. Sa femme le trompe, veut le quitter pour un ami commun (le très sur de lui Sy Ableman) et exige qu'il déménage. Son fils, qui doit bientôt faire sa bar mitzvah, a des problèmes à l'école hébraïque et est persécuté par un camarade. Sa fille ne pense qu'à sortir et pique dans son portefeuille dans l'espoir de se faire refaire le nez. Des lettres anonymes empèchent sa titularisation. Un étudiant coréen essaye de le soudoyer. Et surtout, son frère inepte, perturbé et socialement inadapté squatte son salon sans sembler vouloir en bouger. Est-ce que trois rabbins consécutifs arriveront à résoudre ses problèmes et à donner un sens à sa vie ? Rien n'est mois sûr...

L'Etat de Grâce permanent !

Sérieux.

Quelle forme ils tiennent, ces derniers temps, les Coen !

Sans doute dopés par le succès mondial, public, critique et somme toute mérité de "No Country for Old Men" et sa moisson d'Oscar, revigorés de s'être, après cette lourde machinerie, ressourcés en renouant avec la comédie légère par le biais de "Burn After Reading", les voila qui enchaînent avec une apparente désinvolture et une facilité déconcertante avec un nouvel OVNI filmique et une nouvelle franche réussite en la "personne", si je puis dire, de ce "Serious Man" de toute haute facture.

Un truc à placer tout simplement dans le quatuor de tête de leur filmographie, aux côtés de de "Fargo", "No Country..." ou "The Big Lebowski" (allez, quintet, n'oublions pas "Barton Fink", quand même...)

Un brol d'une classe et d'une intelligence folle !

Un apparent "petit film", qui semble de prime abord ne rien raconter ou en tout cas pas grand chose , mais qui révèle bien vite des trésors cachés d'écriture, de discernement et de roublardise.

D'une finesse d'esprit et de mise en place qui laisse pantois et dont une palanquée d'autres feraient bien de tirer des leçons.

L'engin - à la mécanique à la fois diabolique et finement règlée - est basé sur deux principes aussi simples qu'efficaces (et implacablement tenus). Et avance avec une rigueur et un jusqu'au boutisme qui arriveraient presque à vous foutre la trouille.

D'abord, l'irréversible et douloureusement drôlatique descente aux Enfers de notre héros.
Qui, de Charybde en Scylla et de camion en bourriche, verse dans des abîmes de plus en plus insondables avec une logique pyramidale et terrifiante.

Laquelle, par son caractère tant kafkaïen que tragique (dans le sens grec du terme), fait autant rire - quoique douloureusement - qu'elle fait froid dans le dos.

D'autant que ses ravages se répandent paradoxalement dans l'entourage de Larry - sa femme, ses enfants, tou le monde sauf le frère par qui le scandale arrive - avec d'étonnants et jubilatoires effets de ricochets.

Ensuite, par un scénario et une mise en scène basés à la fois sur une technique de cuts-up elliptiques et sur une série de répétitions et de bégaiements tant narratifs que visuels qui enfoncent cruellement - mais oh combien efficacement ! - le clou de la malédiction et du bad karma.
Et finissent par faire quasiment prendre corps à la cauchemardesque impression d'étouffement qui gagne au cours du film non seulement les protagonistes mais carrément les spectateurs eux-mêmes.

Le tout - et ce n'est pas le moindre tour de force de "A Serious Man" - passant par une succession de situations et de dialogues tous plus hilarants les uns que les uns et empreints d'un vigoureux humour (juif, bien entendu).

Le sous-texte, où s'entrechoquent culture et religion, destin et hasard, responsabilité, perte de repères et passage à l'âge adulte, achève d'emporter le morceau avec un brio et une légèreté qui devraient donner vite fait des complexes et des frissons jaloux à certains récents adeptes du surlignage pachydermique (suivez mon regard ou "voir plus bas").

D'un côté pûrement formel, les frangins font preuve ici d'une maîtrise et d'une virtuosité - discrète, mais n'est-ce pas la plus belle ? - confondantes.

Rarement sans doute, jamais peut-être, un film des frères Coen n'a fait preuve d'autant de souple et admirable maestria technique.
Ce qui, on l'admettra, n'est vraiment pas peu dire.

Avec une sobriété mais aussi un sens du cadre et du montage qui sentent bon l'acharnement, la rigueur et la maturité - voir, à ce sujet, l'hilarante et magnifique scène du toit - Ethan et Joel Coen signent probablement ici leur film le plus aboutit et formellement signifiant.

Pour le reste, on l'a assez dit, après quelques années passées à tutoyer les vedettes (de Tom Hanks à George Clooney en passant par Brad Pitt, John Malkovich ou Tommy Lee Jones), la fratrie se paye ici le luxe d'un film sans stars, qui se nourrit de leur notoriété - évidemment ! - mais tente également la gageure de fonctionner, et c'est rare dans le cinéma américain, sur ses qualités intrisèques, sans se reposer uniquement sur son générique.

Pour autant, l'interprétation ne doit pas être mise de côté, que du contraire, évidemment. Son apparent anonymat permettant de mieux se concentrer sur sa globale excellence.

Au premier rang de laquelle* nous trouvons une véritable révélation, n'ayons pas peur des mots (d'ailleurs, est-ce notre genre ?) en la personne de l'excellent, drôlissime et tourmenté Michael Stuhlbarg.

Ses partenaires, de Richard "Spin City" Kind à Fred Melamed (un habitué des films de Woody Allen. Tiens, tiens...) sont eux aussi on ne peut plus la hauteur, achevant de donner à l'ensemble une cohérence et une aura de maîtrise générale qui, ne serait-ce la générosité du bazar, pourrait verser sur le film le vernis incidieux d'une froideur sournoise.

Il n'en est évidemment rien, "A Serious Man" se dégustant que du contraire comme une pâtisserie à la fois suave et douce-amère.

En attendant la prochaine livraison de la Maison Coen: un remake de "Cent Dollars pour un Shériff" avec des stars (Jeff Bridges, Matt Damon, Josh Brolin...)...
Ces gens-là sont décidément pleins de ressources.

Et jamais là où on les attends.



Cote: ****


(* L'interprétation? L'excellence? Allez savoir, j'ai perdu le fil)

vendredi 5 février 2010


Qu'est-ce qu'on attend ?

- "L'Imaginarium du Docteur Parnassus" (The Imaginarium of Doctor Parnassus) de Terry Gilliam (USA); avec Heath ledger, Christopher Plummer, Johnny Depp, Jude Law, Colin Farrell, Lily Cole...

+ Pourquoi on l'attend ?

Parce qu'après la catastrophe industrielle de "L'Homme qui tua Don Quichotte" (bientôt remis en chantier avec Colin Farrell et Robert Duvall) et les errances malheureuses des "Frères Grimm" et de "Tideland" (SURTOUT "Tideland" !), il semblerait que ce film signe le retour aux affaires de Terry Gilliam. Sur un mode mineur, certes, mais quand même...

Parce que c'est le dernier film de l'excellent Heath Ledger, malheureusement décédé peu avant la fin du tournage.

Parce que pour le remplacer, Gilliam à fait appel à Johnny Depp, Jude Law et Colin Farrell. Rien que ça !

+ Pourquoi on balise ?

Parce que Terry Gilliam est un habitué des tournages "à problèmes", que celui-ci en fût un (c'est le moins que l'on puisse dire) et que ce n'est jamais bon pour un film de traîner trop longtemps dans les abîmes du developpement hell.

Parce que la bande annonce souffle le chaud et le froid, entre grand spectacle fantastique visionnaire et Grand Guignol baroque et rococo.

+ Verdict ?

Pas plus tard que la semaine prochaine, mon capitaine !

jeudi 4 février 2010


La Fête à Neuneu.

"Mr. Nobody" de Jaco Van Dormael (B); avec Jared Leto, Diane Kruger, Sarah Polley, Linh-Dan Pham, Rhys Ifans, Juno Temple...

Dans un futur après tout pas si lointain, Nemo Nobody est le dernier mortel sur terre. En tant que tel, son agonie est filmée et retransmise seconde par seconde sous forme d'émission de télé-réalité. Une nuit, un journaliste réussi à s'introduire dans sa chambre d'hôpital afin de lui arracher une ultime interview. Mr. Nobody lui raconte alors l'histoire d'un enfant qui, sur le quai d'une gare, doit choisir entre son père et sa mère qui se séparent...

Astableeft !

Tout ça... pour ça... ???

Trente ans ou à peu près, donc, que le bon Van Dormael s'acharne à nous turbiner son Grand Oeuvre*.
Ce "Mr. Nobody" que l'on voudrait nous vendre et nous faire gober une fois encore telle la couleuvre, énième variation sur le serpent de mer estampillé "qualité belge".

Alors, oui, certes... évidemment...
Pendant tout ce temps, le pauvre citron, appliqué qu'il était, ne pouvait pas se douter (et encore, c'est à voir. Peut-être aurait-il pu. Même dû, après tout...) que d'autres allaient passer par là et que sa vision du futur, sa manière de le représenter, allaient s'en retrouver obsolètes, éventées.
Vieillies avant l'heure malgré son évidente maîtrise pyrotechnique.

Ah oui.

Mais, hélas ! Fatalitas ! On en est là.

Et le premier problème - oui, il y en a une charette - de Monsieur Personne (dont le patronyme qui se veut fûté - "Eh ! Oh ! Clic-clic ! Vous avez saisi l'allusion ?" - ne fait d'ailleurs que renforcer le côté "enfonceur de portes ouvertes" de l'entreprise) se situe bien là. Malheureusement.

Ca se veut follement novateur et original - et c'est vrai que, d'un point de vue purement technique et financier (ça a dû coûter un pont et ça se voit) c'est réellement impressionnant - mais ça n'arrive jamais à dépasser le stade du recyclage laborieux et de la citation involontaire**.

Toute cette macédoine, ce gloubiboulga "philosophique" new age-bobo-S.F. (Oui ! Il y a même une dimension "Sunshine"/"Total Recall"/2001/jeu vidéo/rajoute ici le titre du space-opera de ton choix/ dans tout ça...) brasse à tout va, rameutant pour l'occasion les mânes de Lelouch (horreur !), Freud, Jean-Pierre Jeunet (Oui ! Encore !!!!), "The Truman Show", Philip K. Dick sous Tranxène ou, à la louche et au kilo, Bernard Werber (si c'est pas malheureux, quand même).
Tout en n'oubliant évidemment pas, quand même et tant qu'on y est, d'y inclure une bonne dose de Jaco Van Dormael vintage à la limite de l'auto-caricature. Voire de l'auto-dérision, d'ailleurs, si l'engin dans son ensemble n'arborait pas à ce point un sérieux digne d'une bulle papale.

En un mot comme en cent, ce pénible pensum kitschounet qui s'écoute ronronner sur des sujets aussi rabattus que le destin, le hasard ou la multiplicité des existences se voudrait profond et concerné alors qu'il n'arrive qu'à bavoter vaguement des lieux communs à la limite du gâtisme. Des couillasseries aussi tartes à la crème que l'effet papillon, par exemple.

C'est un bon exemple.

Le deuxième ennui - et autant vous dire d'entrée que le mot n'est pas choisi par hasard comme dirait ce bon vieux Saramago (tant qu'à chroniquer ce truc autant me la péter moi aussi un peu culture/confiture), c'est que, au vu de son sujet, le film adopte un rythme et une structure qui autorisent les cassures et les soubresauts. Les rembobinages. Les retours en arrière. Les faux départs. Les flash-back et les doubles points de vue.

Ca hoquette et ça bégaie.
Ca se divise pour mieux se répèter.
Cent fois sur le métier, ça remet l'ouvrage.

Et au final eh bien, ça lasse...

Plus que ça, même.
Ne serait-ce l'évidente bonne tenue formelle de l'affaire, ça à vite fait de devenir chiant.
Très chiant, tenez, en fait.

Alors, évidemment, il y a des fulgurances.
Quelques très belles scènes (les vélos dans l'espace).
Le Jaco n'est pas manchot quand il en vient à tenir une caméra.
Loin s'en faut. Même s'il a aussi une fâcheuse tendance au "regardez comme je filme"...
Quelques séquences - toute la partie avec Juno Temple, en gros - ont réussi à toucher, même vaguement, même de loin, la midinette qu'encore une fois je peux être...

Mais bon...
Pour quelques réussites (la direction artistique de toute la première partie), combien de ratés que ne viennent certainement pas sauver le "tout digital" approximatif et maladroit de la période "futuriste" ni surtout le maquillage loupé et le phrasé insupportable du "vieux" Nemo.

Comme en plus Jared Leto se contente d'être beau et lisse et que les autres acteurs sont le plus souvent à côté de la plaque (la Palme à Sarah Polley, exaspérante !), on comprendra que, même si l'affaire n'est pas un naufrage total, ça ne fait guère qu'en toucher une sans bouger l'autre, comme dirait Monseigneur Léonard (sous acide et après quinze Duvel).

Et quand on voit la somme des talents investits (Harry Cleven, Benoît Peeters, François Schuiten, Yslaire, feu Pierre Van Dormael et même cette bonne vieille Zaza Stengers, excusez du peu), il est aussi, me semble-t-il, légitime de se poser certaines questions.

Du type "où tout cela, tout ce talent, cette énergie, cet argent, cette créativité et cette bonne foi aussi, sans doute" est-il passé ?

Dans l'espace, probablement...

Oui, dans l'espace.

Au fond duquel, c'est bien connu, personne ne vous entends bâiller...


Cote: *





(* 1982 et le court-métrage "E Pericoloso Sporgersi")

(** Du moins, on espère que ce soit involontaire)